jeudi 8 mai 2008

L'aventure des volaillers lapalissois

L'économie de Lapalisse fut pendant très longtemps dominée par les échanges agricoles et l'ensemble des activités commerciales qui se greffaient autour de ce pôle central. Si le commerce des grains fut omniprésent et quasi omnipotent jusqu'aux années 1880, l'activité des foires de bestiaux prit le relais (dopé par le chemin de fer) et fit de Lapalisse une place importante du marché de la viande dans le centre de la France jusque dans l'entre-deux-guerres. Enfin, le commerce des volailles, porté par l'explosion de la consommation urbaine, commença à se développer dans les années 1930 pour finalement triompher après la Libération. Une véritable économie de la "chair blanche et de la plume" prospéra ainsi à Lapalisse pendant près de soixante ans.





Les ateliers Orechia avant la guerre de 14. A l'extrême gauche, Jacques Orechia, fondateur en 1890 de la maison. Le commerce de la volaille à Lapalisse générait un bon nombre d'emplois induits dont celui de "plumeuse" qui disparut peu à peu après la seconde guerre mondiale remplacé par le système semi-automatique de la Bingam.




Les différents marchés de la région constituaient l'une des filières d'approvisionnement les plus prisées par les volaillers. Ici, le marché aux volailles de Lapalisse dans les années 1930.



A la Libération, Lapalisse comptait sept volaillers : les Etablissements Baillon et Orechia, rue du Gaz, Francisque Cote, Cote Frères, Barret et Minet sur l'Avenue de la Gare et, enfin, Jean-Marie Papon sur la Place du Faubourg. Ces établissements s'étaient spécialisés dans l'achat, l'abattage et l'expédition des volailles, des lapins et des chevreaux. Seule la maison Baillon réalisait la collecte et la vente des oeufs fermiers. Ces sept volaillers employaient à l'époque environ une trentaine de personnes. L'approvisionnement était réalisé directement dans les fermes au cours de longues tournées ainsi que sur les principaux marchés locaux (le lundi : Saint-Léon, Vaumas ou Marcigny, mardi : Varennes-sur-Allier, mercredi : Jaligny-sur-Besbre, jeudi : Lapalisse, vendredi : Moulins, samedi : Saint-Pourçain-sur-Sioule). Dans les années 1962-1965, l'univers des volaillers connut une première révolution avec la diffusion de la production intégrée basée sur une répartition des tâches et des investissements. Le volailler fournissait les poussins d'un jour, l'intégralité du matériel d'élevage ainsi que l'alimentation, l'exploitant agricole fournissait quant à lui le local et la main-d'oeuvre.



En 1968, une directive européenne obligea les volaillers à se conformer le plus rapidement possible à de nouvelles règles d'hygiène, de transport et d'abattage. Le poids des investissements à venir fut tel, que seule la concentration des entreprises pouvait alors permettre de poursuivre les activités commerciales. La Société des Abattoirs du Val de Besbre (SAVAB) vit donc le jour en 1969, regroupant quatre volaillers lapalissois (Baillon, Barret, Cote Frères et Orecchia) et deux volaillers de la Loire (Pralut de Saint-Martin-d'Estreaux et Delorme de Changy). La toute nouvelle société, au capital de 600 000 francs, acheta à la municipalité de Lapalisse un terrain sur la ZAC de Lubillet, route de Jaligny et commença l'exploitation de son site d'abattage et de conditionnement le 6 avril 1970. La direction de la société fut confiée à Georges Orechia qui siégea au poste de PDG jusqu'en 1984.


Très vite, l'affaire prospéra et finit par employer jusqu'à 130 personnes au milieu des années 1980 avec une capacité de découpe de 10 000 volailles par semaine. La zone d'approvisionnement de la SAVAB s'étendait dans un rayon d'une centaine de kilomètres autour de Lapalisse, poussant même des ramifications jusque dans les départements de la Drôme et de la Sarthe réputés pour leurs pintades fermières. Le centre et l'Est du pays, ainsi que le quart sud-est (et notamment la Côte d'Azur) constituaient les trois principales zones d'expédition des produits SAVAB qui jouissaient alors d'une belle renommée. A son apogée, la SAVAB réalisait environ 10 % du chiffre d'affaires à l'exportation, principalement en direction de la Suisse, de l'Allemagne et du Royaume-Uni.


Au cours des années 1980, le marché de la volaille française évolua rapidement au profit des grands centres agréés de l'Ouest français qui, grâce à une plus forte automatisation, pratiquaient une politique des prix très agressive. En janvier 1988, le directoire de la SAVAB, étranglé par la concurrence, fut forcé de déposer son bilan et de licencier la centaine d'employés de l'époque. La société SEIVE, basée à Saint-Germain-des-Fossés, racheta alors la SAVAB mais choisit de fermer le site lapalissois pour renforcer le positionnement de ses propres ateliers.


L'année 1988 marqua la fin d'une époque puisque les Etablissements Minet furent à leur tour rachetés par la société Fléchard, implantée à La Chapelle d'Andaine dans la Sarthe. Fondé en 1969 par Jean-Baptiste Minet, volailler lapalissois, qui choisit de ne pas rejoindre le groupement professionnel à l'origine de la création de la SAVAB, les Etablissements Minet employèrent environ une trentaine de personnes.


Pendant dix ans, la société Fléchard (environ 70 employés) continua à faire vivre la tradition volaillère de Lapalisse, sur son site flambant neuf de Rozières. Mais à l'automne 1997, en but à une féroce concurrence nationale et internationale, les dirigeants sarthois choisirent de replier leurs activités sur leurs terres d'origine, mettant ainsi un terme à trente ans d'aventure industrielle.



Ultime vision d'une économie paysanne qui disparut en grande partie dans les années 1980 pour laisser place à des systèmes intégrés contrôlés par les grands volaillers.


Pour approfondir cette question, nous vous conseillons la lecture de l'ouvrage Le Tablier bleu, réalisé et édité par l'association A VIE' CULTURE en juin 2006, 153 pages de nombreux témoignages, belle iconographie. (en vente auprès de l'association A VIE' CULTURE basée à Escurolles 03110).

Un grand remerciement également à M. Pierre BAILLON, ancien dirigeant de la SAVAB pour l'ensemble de ses renseignements.

S. HUG


HUGSTEPHANE@aol.com

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