vendredi 8 janvier 2010

Quel avenir pour l'identité bourbonnaise ?

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Quelques semaines après que le gouvernement ait lancé une grande consultation nationale sur la définition et l'avenir de l'identité française, il n'est pas inutile de changer un instant d'échelle de réflexion afin de nous interroger sur les enjeux actuels et futurs de l'identité bourbonnaise.


Vous aurez beau chercher en Bourbonnais une Cave d’Aléria ou un plateau du Larzac pour y crier Volem viure al païs, vous ne trouverez ici aucun lieu de mémoire lié à une quelconque revendication identitaire. Leur identité, les Bourbonnais la portent dans leur for intérieur et la redécouvrent parfois à leurs heures perdues. Soyons encore plus directs : dans notre province, l’identité est une question secondaire, une préoccupation plus élitiste qu’une réelle attente populaire comme peut l’être la défense de la ruralité.
Dans le schéma identitaire bourbonnais domine le sentiment de ne pas être connus et reconnus à l’échelle de notre pays. Le vrai Bourbonnais, du moins celui qui s’identifie comme tel, est convaincu d’être bouffé par l’Auvergne, le grand frère du Sud, et ressent amèrement le fait que sa province ne soit qu’une marge bien qu’elle se situe au centre de notre pays… L’intello du coin vous dira que le Bourbonnais c’est avant tout la Terre des Bourbon. Le message est certes séducteur, mais il ne peut séduire le grand public qu’une seule fois : les ruines ont le don de lasser petits et grands. Le Bourbonnais de la rue vous dira quant à lui que pour être d’ici il faut y être né comme si un obscur droit du sol suffisait à lui seul à définir notre identité. Parler de nous-mêmes, revient donc à avancer à tâtons dans le labyrinthe de nos sentiments collectifs. Pour y trouver son chemin autant l’aborder en se posant les bonnes questions : le Bourbonnais (je ne parle pas de l’Allier) existe-t-il encore ? Qu’est-ce qu’être Bourbonnais aujourd’hui ?

L’identité bourbonnaise se définit traditionnellement autour de l’histoire de notre province. Or, dans beaucoup de plaquettes touristiques, la chronologie bourbonnaise court du dieu Borvo à l'année 1527 marquée par la mort du Connétable de Bourbon. A quoi bon être Bourbonnais si notre histoire s’est achevée en 1527 ! Fort heureusement, la plupart des schémas identitaires bourbonnais poursuivent notre histoire régionale jusqu’aux luttes d’Emile Guillaumin, mais qui connaît encore en France ce personnage ? D’ailleurs, combien de Bourbonnais de moins de 40 ans savent qui il fut ? Avec Guillaumin nous touchons à la définition même de l’identité provinciale, c’est-à-dire une construction sociale ouverte reposant sur une accumulation de symboles, de personnages, de lieux et de dates partagés par tous. Avec les spectaculaires mutations qui ont bouleversé notre monde rural depuis une cinquante d’années, Guillaumin n’est plus un symbole universellement reconnu par tous les Bourbonnais, même si, pour celui qui fait l’effort de le relire, il parle encore à notre humanité.
La définition de l’identité bourbonnaise fut élaborée en un temps (fin du XIXe siècle-années 1950) où les élites ne parlaient qu’aux élites. La promotion touristique de notre province naquit d’ailleurs de ce dialogue et continue à être diffusée presque en l’état. Depuis lors, le tourisme s’est démocratisé et s’est de fait banalisé. Le vacancier a transposé dans son itinérance sa culture consumériste, sa soif d’exigence et d’immédiateté. Là où il va, le touriste veut qu’on lui dise où il est et surtout ressentir la différence. A quoi bon, par exemple, continuer à faire du chapeau à deux bonjours l’un des grands symboles du Bourbonnais puisque celui-ci a disparu de notre paysage social depuis bien longtemps.
Les dernières tentatives de toilettage de l’image de notre province se sont soldées par l’invention de concepts alambiqués : voici que le Bourbonnais est devenu zen et glamour, baignant dans une idyllique Dolce vita. Encore un peu de temps et notre province deviendra sexy… On pourrait sourire de tous ces faux-semblants si le péril n’était déjà dans la demeure. En effet, depuis une petite dizaine d’années, la promotion du Bourbonnais, orchestrée par l’Office départemental de… l’Allier (on aurait voulu assassiner le vieux Bourbonnais on ne s’y serait pas pris autrement !), est concurrencée par l’affirmation des Offices de Tourisme communautaires. S’il était déjà difficile de prendre des vacances en Bourbonnais sans préciser que vous partez en fait pour l’Auvergne, à terme, il sera peut-être du dernier chic de préparer son séjour en Tronçais ou dans le Pays de Bourbon. Certes, il est légitime de laisser voix au chapitre aux différents Pays du Bourbonnais, mais il est temps d’entreprendre la rénovation de l’identité de notre province afin de construire un message promotionnel en adéquation avec les réalités sociales de notre époque. Avant de travailler sur la segmentation des publics à atteindre, il est nécessaire de reprendre le récit de notre histoire et de bâtir un message universel dont le contenu soit vérifiable par tout un chacun. Désormais, il ne s’agit pas tant de délimiter notre place dans le village planétaire que de nous convaincre de ce que nous sommes devenus. Plusieurs axes de réflexion sont à mon sens à creuser. Le Bourbonnais est sans nul doute aujourd’hui la terre la plus médiane de France, une mosaïque de paysages posée entre nord et sud, entre ville et campagne, entre modernité et traditions. Mais attention à ne pas commettre d’impairs : défense et promotion de la ruralité ne doivent pas se résumer à une seule et unique bio-attitude. Nous devons être capables à l’avenir de montrer la vie réelle de notre province et non plus de vendre l’impossible. L’une des forces des Bourbonnais réside enfin dans leur capacité à intégrer l’autre à tel point que les « réinventeurs de notre province » sont souvent des néo-arrivants. Finalement, le propre des Bourbonnais n’est-il pas d’avoir accepté depuis longtemps l’idée une identité modelable prenant souvent l’aspect d’un dialogue avec soi par procuration ?


S. HUG


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