mercredi 15 août 2012

Atlas historique du Bourbonnais sous l'Ancien Régime - Chapitre I - la Montagne bourbonnaise



De tous les pays de l’ancien Bourbonnais, la Montagne était le plus original et le plus individualisé. S’organisant à l’est autour des Mont de la Madeleine et au sud autour du Massif des Bois noirs, la Montagne bourbonnaise constitue l’avancée la plus septentrionale des Monts du Forez (1). Tordons le cou dès à présent aux rêveries alpestres : il ne s’agit que d’une moyenne montagne granitique dont les trois quarts de sa superficie se situent entre 500 et 800 m d’altitude. Quelques sommets dépassent néanmoins les 1 000 m : à l’est, La Pierre du Charbonnier 1031 m, Les Pierres du Jour 1134 m, au sud, le Montoncel 1287 m et le Puy Snidre 1223 m. Comme toutes les moyennes montagnes de l’ancienne France, l’économie de la Montagne bourbonnaise était dominée par une trilogie constituée par le seigle, l’élevage et le bois à laquelle il faut ajouter des flux migratoires temporaires. La révolte des Pions en 1764 renforça l’image d’une région attardée et enclavée, vision qui perdura jusqu’au cœur du XXe siècle. La réalité historique est en fait tout autre. 
L’opposition avec les douces ondulations des « Bons Pays » qui bordaient la Montagne au nord et à l’ouest était autrefois si nette qu’elle n’échappa à aucun observateur de l’ancien Bourbonnais. Nicolas de Nicolay, géographe du roi et seigneur de la terre de Montmorillon située en pleine Montagne dans la paroisse d’Arfeuilles, notait déjà dans sa Générale Description du Bourbonnais (1569) : «Le Bourbonnois par autres grandes et aspres montaignes, forets, rivières et vallées se confine avec la Basse-Auvergne, appelée Limaigne et au païs de Lionnois et Forestz (…) La ville de Vichy qui est située du cousté d’Auvergne et de Forest est voisine de grand païs de montaignes, vallées, bois, ruisseaux et païs maigres mais très bon pour le pasturage et nourriture du bétail, seigles et avoisnes. » (2) Portant un regard plus érudit sur ce pays, le préfet Huguet précisait dans son Tableau de situation du département de l’Allier (an IX) : « Dans les parties hautes, la nature est très différente, le climat est plus froid, les terres moins précoces, les neiges plus abondantes et plus soutenues, rarement on atteint la fin du mois de brumaire sans le voir tomber et, sans être permanentes, elles se prolongent souvent jusque dans le courant de germinal. Les variations occasionnées par la proximité des montagnes, sont plus sensibles au printemps où les vents de sud-ouest qui, au commencement de germinal, portent sur presque toute la France un temps doux et humide, ne nous arrivent que chargés des frimas qui règnent sur leurs sommets glacés : de là, ces froids prolongés, ces gelées de printemps qui nuisent si souvent aux produits de l’agriculture. A ces froids succèdent, pour l’ordinaire, de longues sécheresses qui ne sont pas moins nuisibles qui détruisent les plus belles apparences de récoltes et que l’on croit devoir attribuer à la destruction dans les terrains les plus élevés d’une grande partie des bois qui entretenaient et de là répandaient au loin une fraîcheur bienfaisante et salutaire pour les habitants et les productions.» (3)
La Montagne bourbonnaise était avant tout une terre à seigle. Dans sa thèse Les campagnes bourbonnaises à la fin du Moyen Age, René Germain estima des terriers et des comptes seigneuriaux qu’au tout début du XVIe siècle, le seigle représentait les trois quarts des redevances en nature contre 22 % pour l’avoine et seulement 3 % pour le froment ! (4) De toute évidence, cette proportion demeura à peu près stable durant toute l’époque moderne. Les rendements céréaliers ne pouvant guère croître sur ces sols cristallins, le moyen le plus simple pour augmenter le volume des récoltes était d’étendre les surfaces cultivées : armée de haches et d’herminettes, la paysannerie s’attaquait donc périodiquement à la forêt, au taillis ou à la broussaille. Jusqu’au XVIIIe siècle, les défrichements donnèrent naissance à des villages (= hameau en Montagne bourbonnaise) situés en pleine zone d’essartages, tel le Village de Corray sur la paroisse de La Chapelle, « nouvellement establit cy devant en bois de grande futay et brousaille dont la dixme de ce ténement tant charnage que tous les grains qu’on y peut semer appartiennent au sieur curé de La Chapelle prez Cusset. » (1740)  Une fois mise en valeur, la terre était soumise à une rotation extrêmement lente : « Les terres d’une ferme sont divisées là en quatre ou cinq et ailleurs en six parties, l’une est en culture une année, tandis que la seconde est chargée de récolte en seigle, la troisième en jachère et les autres parties sont en repos, comme destinées à prendre successivement l’état des trois premières et servent au pâturage des bestiaux. (…) Dans ces communes, la majeure partie du terrain exige un repos de 3, 4, 5 et 6 années pour pouvoir produire. » (Lettre du Sous-préfet de La Palisse au Préfet de l’Allier – 1810) L’élevage bovin était le complément naturel d’une céréaliculture poussive. A l’époque moderne, le bétail de la Montagne était réputé sur les foires de la Côte roannaise (Crozet, Saint-Rirand, Ambierle) et sur la place de Cusset : « Audit Cusset y a chacun an le nombre de dix foyres et marché tous les mercredy et samedy de la sepmaine ou affluent plusieurs personnes pour le commerce qui est fort bon y vennant des montaignes grand nombre de bestail, seigle et avoyne et y prennent vin qui se cueillent autour de Cusset en grande quantité et de fort bons qui ne ceddent en bonté à vins de la province et du cousté de Vichy y affluent grande quantité de froment et menuz bledz desquels sayent ceulx des montaignes pour leur nourriture en temps de stérilité et charté de bledz et par ce moien vendent ou eschangent entre eux bestail contre bled ou huille. » (Nicolas de Nicolay – Générale Description du Bourbonnais – 1569). Si ce commerce du bétail prouve l’ouverture de ce haut pays sur l’extérieur, les échanges liés au bois et à ses produits dérivés renforcent l’idée que la Montagne bourbonnaise était parfaitement intégrée dans l’économie générale de l’époque. En 1682, Me Laurand Venissière, marchand voyturier par eau du bourg de Puy-Guillaume, y demeurant, passe un contrat avec Me Claude Bertucat, bourgeois de Ferrières, portant sur le transport par flottage de quatre trains de 1350 toises de planches de chêne, pour une valeur de 243 livres par train (1 train = 11 rangs de 12 planches d’un pouce d’épaisseur chacune). Les planches livrées au Port de Puy-Guillaume, furent acheminées jusqu’à Briare, point de rupture, où elles furent déchargées et reconstituées en train jusqu’à Paris. La noblesse locale participa également de façon active à l’exploitation forestière. Ainsi, au début du XVIIIe siècle, Claude de Manissy, seigneur de Chappes (paroisse de Ferrières), faisait exploiter sa forêt de Pierre Encise dans le but de produire du charbon de bois. (5) De tous les nobles, se furent les gentilhommes verriers qui se montrèrent les plus entreprenants. Poussés hors de Lorraine par la Guerre de Trente ans (1618-1648), des familles de verriers s’installèrent en Bourgogne, dans la Comté, dans la principauté de Montbéliard, en Nivernais et en Bourbonnais. Dès les années 1660, les de Finance, les de Jacob, les de La Chaussée, les de La Godine et les Bigot commencèrent à  ouvrir des verreries à Saint-Nicolas-des-Biefs, à Lavoine, à Laprugne, à Ferrières, à La Guillermie. Chaque atelier regroupait quelques dizaines d’ouvriers et produisait avant tout des articles domestiques (gobelets, coupes, fioles, verres). L’industrie du verre, gourmande en bois de chauffe et en cendre, modifia si profondément certains secteurs de la Montagne qu’elle bouleversa parfois les écosystèmes. Ainsi, au cours du XVIIIe siècle, l’activité verrière se déplaça, faute de bois, du plateau de La Verrerie (paroisse de Saint-Nicolas-des-Biefs) au site actuel du bourg de Saint-Nicolas, cent mètres plus bas. L’industrie verrière de la Montagne bourbonnaise était ainsi condamnée à mener une existence nomade, dictée par l’exploitation, et fatalement l’épuisement, des ressources naturelles. L’âge d’or des verriers de la Montagne prit fin peu avant la Révolution. (6)

Cliquez sur la carte pour l'agrandir


Commentaire de la carte : loin d’être un espace totalement enclavé et attardé, la Montagne bourbonnaise était parfaitement intégrée à l’économie d’échanges.  Regardant autant du côté du Val d’Allier que de celui de la Côte roannaise,  la Montagne possédait un maillage de foires et de marchés remarquablement serré. Si le Mayet-de-Montagne était un lieu central, Ferrières-sur-Sichon, dont la paroisse rassemblait près de 3 000 âmes à la fin du XVIIIe siècle, était le bourg le plus dynamique du haut-pays.













La rareté des bonnes terres et la surexploitation des ressources forestières posaient périodiquement le problème de l’accroissement de la charge démographique. Partir du village, pendant quelques semaines ou quelques mois, constituait pour quelques jeunes hommes une issue économique vitale permettant d’assurer l’équilibre de la communauté. Des migrations temporaires de travail se mirent ainsi en place au moins à partir du XVIIIe siècle entre la Montagne et les basses régions du Bourbonnais et d’ailleurs. Les sabotiers formaient l’essentiel de ces migrants qui se dirigeaient de préférence vers la Sologne bourbonnaise, le Nivernais et le Nord de la Bourgogne.


(1)- Les Amis de la Montagne bourbonnaise, association fondée en 1970 au Mayet-de-Montagne édite chaque année depuis 1974 deux livraisons de son Courrier de la Montagne bourbonnaise, où prennent place de beaux articles sur l’histoire et les traditions de ce coin du Bourbonnais.
(2)- Nicolas de Nicolay, ouv. Cité, p. 7
(3)- Préfet Huguet, op. cité, pp. 5-6.
(4)- René Germain, ouv. Cité, p. 24.
(5)- Claude Alamartine, Exploitation, utilisation et transport des bois et produits de la Montagne bourbonnaise aux XVIIe-XVIIIe siècles, in, Notre Bourbonnais, n° 200-201, 1977.
(6)- Sur les verriers de la Montagne et du Bourbonnais voir, Histoire des verreries et des verriers de l’Allier, numéro spécial n° 26, premier semestre 2004, 250 pages.

S. HUG

HUGSTEPHANE@aol.com


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire