De tous les pays de l’ancien
Bourbonnais, la Montagne
était le plus original et le plus individualisé. S’organisant à l’est autour
des Mont de la Madeleine
et au sud autour du Massif des Bois noirs, la Montagne bourbonnaise
constitue l’avancée la plus septentrionale des Monts du Forez (1). Tordons le cou
dès à présent aux rêveries alpestres : il ne s’agit que d’une moyenne
montagne granitique dont les trois quarts de sa superficie se situent entre 500
et 800 m
d’altitude. Quelques sommets dépassent néanmoins les 1 000 m : à
l’est, La Pierre
du Charbonnier 1031 m,
Les Pierres du Jour 1134 m,
au sud, le Montoncel 1287 m
et le Puy Snidre 1223 m.
Comme toutes les moyennes montagnes de l’ancienne France, l’économie de la Montagne bourbonnaise
était dominée par une trilogie constituée par le seigle, l’élevage et le bois à
laquelle il faut ajouter des flux migratoires temporaires. La révolte des Pions
en 1764 renforça l’image d’une région attardée et enclavée,
vision qui perdura jusqu’au cœur du XXe siècle. La réalité historique est en
fait tout autre.
L’opposition avec les douces ondulations
des « Bons Pays » qui bordaient la Montagne au nord et à
l’ouest était autrefois si nette qu’elle n’échappa à aucun observateur de
l’ancien Bourbonnais. Nicolas de Nicolay, géographe du roi et seigneur de la
terre de Montmorillon située en pleine Montagne dans la paroisse d’Arfeuilles,
notait déjà dans sa Générale Description
du Bourbonnais (1569) : «Le Bourbonnois par autres grandes et aspres
montaignes, forets, rivières et vallées se confine avec la Basse-Auvergne,
appelée Limaigne et au païs de Lionnois et Forestz (…) La ville de Vichy qui
est située du cousté d’Auvergne et de Forest est voisine de grand païs de
montaignes, vallées, bois, ruisseaux et païs maigres mais très bon pour le
pasturage et nourriture du bétail, seigles et avoisnes. » (2) Portant
un regard plus érudit sur ce pays, le préfet Huguet précisait dans son Tableau
de situation du département de l’Allier (an IX) : « Dans
les parties hautes, la nature est très différente, le climat est plus froid,
les terres moins précoces, les neiges plus abondantes et plus soutenues,
rarement on atteint la fin du mois de brumaire sans le voir tomber et, sans
être permanentes, elles se prolongent souvent jusque dans le courant de
germinal. Les variations occasionnées par la proximité des montagnes, sont plus
sensibles au printemps où les vents de sud-ouest qui, au commencement de
germinal, portent sur presque toute la France un temps doux et humide, ne nous arrivent
que chargés des frimas qui règnent sur leurs sommets glacés : de là, ces
froids prolongés, ces gelées de printemps qui nuisent si souvent aux produits
de l’agriculture. A ces froids succèdent, pour l’ordinaire, de longues
sécheresses qui ne sont pas moins nuisibles qui détruisent les plus belles
apparences de récoltes et que l’on croit devoir attribuer à la destruction dans
les terrains les plus élevés d’une grande partie des bois qui entretenaient et
de là répandaient au loin une fraîcheur bienfaisante et salutaire pour les
habitants et les productions.» (3)
La Montagne bourbonnaise
était avant tout une terre à seigle. Dans sa thèse Les campagnes bourbonnaises à la fin du Moyen Age, René Germain
estima des terriers et des comptes seigneuriaux qu’au tout début du XVIe
siècle, le seigle représentait les trois quarts des redevances en nature contre
22 % pour l’avoine et seulement 3 % pour le froment ! (4) De toute évidence, cette proportion
demeura à peu près stable durant toute l’époque moderne. Les rendements
céréaliers ne pouvant guère croître sur ces sols cristallins, le moyen le plus
simple pour augmenter le volume des récoltes était d’étendre les surfaces
cultivées : armée de haches et d’herminettes, la paysannerie s’attaquait donc
périodiquement à la forêt, au taillis ou à la broussaille. Jusqu’au XVIIIe
siècle, les défrichements donnèrent naissance à des villages (= hameau en
Montagne bourbonnaise) situés en pleine zone d’essartages, tel le Village de
Corray sur la paroisse de La
Chapelle, « nouvellement establit cy devant en bois de grande futay et
brousaille dont la dixme de ce ténement tant charnage que tous les grains qu’on
y peut semer appartiennent au sieur curé de La Chapelle prez
Cusset. » (1740) Une
fois mise en valeur, la terre était soumise à une rotation extrêmement
lente : « Les
terres d’une ferme sont divisées là en quatre ou cinq et ailleurs en six
parties, l’une est en culture une année, tandis que la seconde est chargée de
récolte en seigle, la troisième en jachère et les autres parties sont en repos,
comme destinées à prendre successivement l’état des trois premières et servent
au pâturage des bestiaux. (…) Dans ces communes, la majeure partie du terrain
exige un repos de 3, 4, 5 et 6 années pour pouvoir produire. »
(Lettre du Sous-préfet de La
Palisse au Préfet de l’Allier – 1810) L’élevage bovin était
le complément naturel d’une céréaliculture poussive. A l’époque moderne, le
bétail de la Montagne
était réputé sur les foires de la
Côte roannaise (Crozet, Saint-Rirand, Ambierle) et sur la
place de Cusset : « Audit Cusset y a chacun an le nombre de dix foyres et marché
tous les mercredy et samedy de la sepmaine ou affluent plusieurs personnes pour
le commerce qui est fort bon y vennant des montaignes grand nombre de bestail,
seigle et avoyne et y prennent vin qui se cueillent autour de Cusset en grande
quantité et de fort bons qui ne ceddent en bonté à vins de la province et du
cousté de Vichy y affluent grande quantité de froment et menuz bledz desquels
sayent ceulx des montaignes pour leur nourriture en temps de stérilité et
charté de bledz et par ce moien vendent ou eschangent entre eux bestail contre
bled ou huille. » (Nicolas de Nicolay – Générale Description du Bourbonnais – 1569). Si ce commerce
du bétail prouve l’ouverture de ce haut pays sur l’extérieur, les échanges liés
au bois et à ses produits dérivés renforcent l’idée que la Montagne bourbonnaise était
parfaitement intégrée dans l’économie générale de l’époque. En 1682, Me Laurand
Venissière, marchand voyturier par eau du bourg de Puy-Guillaume, y demeurant,
passe un contrat avec Me Claude Bertucat, bourgeois de Ferrières, portant sur
le transport par flottage de quatre trains de 1350 toises de planches de chêne,
pour une valeur de 243
livres par train (1 train = 11 rangs de 12 planches d’un
pouce d’épaisseur chacune). Les planches livrées au Port de Puy-Guillaume,
furent acheminées jusqu’à Briare, point de rupture, où elles furent déchargées
et reconstituées en train jusqu’à Paris. La noblesse locale participa également
de façon active à l’exploitation forestière. Ainsi, au début du XVIIIe siècle, Claude
de Manissy, seigneur de Chappes (paroisse de Ferrières), faisait exploiter sa
forêt de Pierre Encise dans le but de produire du charbon de bois. (5) De tous les nobles, se furent les
gentilhommes verriers qui se montrèrent les plus entreprenants. Poussés hors de
Lorraine par la Guerre
de Trente ans (1618-1648), des familles de verriers s’installèrent en
Bourgogne, dans la Comté,
dans la principauté de Montbéliard, en Nivernais et en Bourbonnais. Dès les
années 1660, les de Finance, les de Jacob, les de La Chaussée, les de La Godine et les Bigot commencèrent
à ouvrir des verreries à
Saint-Nicolas-des-Biefs, à Lavoine, à Laprugne, à Ferrières, à La Guillermie. Chaque
atelier regroupait quelques dizaines d’ouvriers et produisait avant tout des
articles domestiques (gobelets, coupes, fioles, verres). L’industrie du
verre, gourmande en bois de chauffe et en cendre, modifia si profondément
certains secteurs de la
Montagne qu’elle bouleversa parfois les écosystèmes. Ainsi,
au cours du XVIIIe siècle, l’activité verrière se déplaça, faute de bois, du
plateau de La Verrerie
(paroisse de Saint-Nicolas-des-Biefs) au site actuel du bourg de Saint-Nicolas,
cent mètres plus bas. L’industrie verrière de la Montagne bourbonnaise était
ainsi condamnée à mener une existence nomade, dictée par l’exploitation, et
fatalement l’épuisement, des ressources naturelles. L’âge d’or des verriers de la Montagne prit fin peu
avant la Révolution. (6)
La
rareté des bonnes terres et la surexploitation des ressources forestières
posaient périodiquement le problème de l’accroissement de la charge
démographique. Partir du village, pendant quelques semaines ou quelques mois,
constituait pour quelques jeunes hommes une issue économique vitale permettant
d’assurer l’équilibre de la communauté. Des migrations temporaires de travail
se mirent ainsi en place au moins à partir du XVIIIe siècle entre la Montagne et les basses
régions du Bourbonnais et d’ailleurs. Les sabotiers formaient l’essentiel de
ces migrants qui se dirigeaient de préférence vers la Sologne bourbonnaise, le
Nivernais et le Nord de la
Bourgogne.
(1)-
Les Amis de la Montagne
bourbonnaise, association fondée en 1970 au Mayet-de-Montagne édite chaque
année depuis 1974 deux livraisons de son Courrier
de la Montagne
bourbonnaise, où prennent place de beaux articles sur l’histoire et les
traditions de ce coin du Bourbonnais.
(2)-
Nicolas de Nicolay, ouv. Cité, p. 7
(3)-
Préfet Huguet, op. cité, pp. 5-6.
(4)-
René Germain, ouv. Cité, p. 24.
(5)-
Claude Alamartine, Exploitation,
utilisation et transport des bois et produits de la Montagne bourbonnaise aux
XVIIe-XVIIIe siècles, in, Notre Bourbonnais, n° 200-201, 1977.
(6)-
Sur les verriers de la
Montagne et du Bourbonnais voir, Histoire des verreries et des verriers de l’Allier, numéro spécial
n° 26, premier semestre 2004, 250 pages.
HUGSTEPHANE@aol.com
S. HUG
HUGSTEPHANE@aol.com
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