Vu de l’extérieur, ces « Bons
Pays » formaient une terre de passage entre le nord et le sud du royaume. Dans
ce Bourbonnais des voyageurs, des pèlerins, des auberges, des relais de postes
et des bacs, l’altérité télescopait sans cesse l’ordinaire du village et de la
ville. Le long des routes royales de Paris à Lyon et de Paris à Clermont,
doublées par la voie d’eau de l’Allier, la vie semblait plus vive qu’au cœur
des campagnes. Si les nouvelles et les « novelletés » (les innovations) s’y répandaient plus vite,
l’ouverture engendrait également des menaces. Alors qu’au XVIIe siècle le
passage fréquent des troupes semait encore la crainte parmi les populations, les
risques épidémiques et le brigandage jetèrent leur ombre sur ces grandes routes
jusqu’au début du XIXe siècle. Toujours est-il que le cœur économique du
Bourbonnais s’étendait ici, vivifié par une étonnante activité commerciale. En
1698, l’Intendant Le Vayer notait ainsi : « La consommation sur la grande
route de Paris à Lyon et Auvergne ne se peut évaluer, mais elle produit des
sommes extraordinaires. » (1) Un
peu plus d’un siècle plus tard, le Préfet Huguet dressait un bilan commercial particulièrement
positif : « L’exportation des vins est considérable par Paris où ils se
rendent par la rivière d’Allier, il s’en consomme aussi beaucoup dans les
départements de la Creuse
et du Cher et dans l’ancien Berry (…) L’exportation des grains est considérable
dans ce département par Lapalisse, il verse à Lyon, Rouen [Roanne] et Marigny
[Marcigny]. Lyon et Marigny consomment les fromens, les montagnes de
Saône-et-Loire et de Rhône-et-Loire, les seigles. La route de Paris à Lyon est
la ligne principale par laquelle s’exécutent ces transports. Par Saint-Pourçain
et Gannat, route de Moulins à Clermont, il verse à Montferrand, Clermont et
toute l’Auvergne dont le produit suffit rarement à sa consommation, accident
que sa situation élevée rend assez fréquent. » (2) Les intendants de la Généralité se sont
tous préoccupés de l’état et de l’entretien de ces deux grandes routes royales :
« J’ai
aussi visité le même chemin de Lyon pour connaître les ouvrages et
cailloutages, escarpements, aplanissements de terre, rochers et autres qu’ils
convient de faire pour rétablir le grand chemin de Paris à Lyon, soit parce que
c’est une grande route, que parce que les carrosses de diligences y doivent
passer cette année pour être faits pendant l’hiver pour donner moyen aux pauvres
de subsister, suivant l’intention de sa Majesté, dont j’ai dressé un état avec
le sieur Mathieu. » (Florent d’Argouges – 1686)
Néanmoins, par manque chronique
de fonds et par manque de volonté politique, on se contenta pendant plusieurs
décennies de parer au plus urgent en comblant ici les ornières les plus
dangereuses ou en réparant là un pont menaçant ruine. Au début du XVIIIe
siècle, dans une lettre adressée au Directeur des ponts et chaussées,
l’ambitieux intendant d’Auvergne de La Grandville, n’hésita pas à brosser un tableau
catastrophique de l’état du réseau bourbonnais afin de mettre un peu plus en
avant sa propre action dans ce domaine : « On passe la rivière d’Allier à un
endroit appelé le port de La
Corde, passage presque impraticable lors des crues d’eau, et
où a péri cet hiver le carrosse de voiture ; de là on passe à
Saint-Pourçain, Gannat et Aigueperse, le tout dans la généralité de Moulins, ce
qui est un pays fort gras et où les chemins sont impraticables lorsqu’il a plu
deux heures… MM. Les Intendants du Bourbonnais n’ont jamais fait attention aux
chemins de leur généralité, attendu qu’ils ont toujours regardé cette partie
comme absolument séparée d’eux. (…) Il serait même à souhaiter qu’on put
éviter le passage du port de La
Corde, ce qui pourrait peut-être se faire en réparant le
chemin depuis Saint-Pourçain jusqu’à Moulins en passant par Chatelneuve
(Châtel-de-Neuvre), en deçà de la rivière, et on la passerait ensuite au bac de
Moulins… ou sur un pont qui s’y pourrait construire… » (3) Il fallut attendre les années 1740 pour
voir la monarchie donner à ses intendants les moyens de mener une véritable
politique routière (voir carte ci-dessous). Au-delà de sa pure dimension
urbaine, la construction du pont Régemortes (1755-1758) à Moulins constitue le
symbole de cette volonté d’améliorer l’état des routes royales en Bourbonnais.
Douze années après la chute de
l’Ancien régime, le Préfet Huguet considérait l’œuvre accomplie comme un atout
économique : « En général les routes, quoique dégradées sur plusieurs points de
ce département, y sont mieux soignées et mieux entretenues que dans les
départements circonvoisins. Le sol naturel est plus solide, moins gras, moins
humide et généralement graveleux. Les routes qui, à quelques parties près, sont
assez roulantes, sont entretenues d’un gravier un peu menu, mais fort sec, au
moyen des pentes généralement bien ménagées et à cela près quelques ponts et
ponteaux provisionnels en bois et en pierre sèche qui de temps en temps ont
besoin de réparations provisoires. Il n’en est point d’importantes à faire dans
ce département si ce n’est au pont de Saint-Pourçain, route de Paris à
Clermont. » (4)
(1)-
Intendant Le Vayer, Mémoire cité, p. 160.
(2)-
Préfet Huguet, op. cité, pp. 9-10.
(3)-
in, F. Imberdis, Le réseau routier de
l’Auvergne au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1967, 351pages.
(4)-
Préfet Huguet, op. cité, pp. 54-55.
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