La prostitution en milieu rural
et dans la France
des petites villes, en plus d’être un sujet encore tabou, est un thème
extrêmement difficile à traiter pour les historiens, car elle n’a laissé que
très peu de traces dans les archives. A l’époque où Lapalisse était encore une
grande ville de foires et de marchés (XIXe-début du XXe siècle), la présence de
prostituées indépendantes est attestée par quelques mentions dans les rapports
de Police conservés dans la
Série M des Archives Départementales de l’Allier. A partir
des années 1970, l’augmentation du trafic routier sur la Nationale 7 développa le
commerce des travailleuses indépendantes le long de cet axe. Se limitant à
quelques unités, la présence de prostituées à Lapalisse dans les années 70-80
est également attestée (tout comme de nos jours) par les archives policières et
judiciaires. A cette époque, la
Place Bécaud (la Petite Gare des Lapalissois) était un parking
très fréquenté par les chauffeurs routiers et épisodiquement par les filles de
la nuit. Pour la plupart des Lapalissois, la prostitution devint une réalité le
jour où le « réseau Pascaline » fut démantelé au cœur des années 80.
S’étendant à l’échelle du département, ce réseau possédait une
« antenne » lapalissoise.
Voici un témoignage extrêmement
rare sur la présence de la prostitution à Lapalisse. Il s’agit d’un extrait du
recueil de souvenirs Saint-Prix, Pays
berbouille de Georges Romaillat. L’auteur dépeint un personnage haut en
couleur qui faisait le commerce de ses charmes dans les années 30 :
"Entre Saint-Prix et Lapalisse, sur les deux kilomètres du parcours,
côté droit, on trouve trois carrières à ciel ouvert, dont l’une, au centre est
abandonnée. Dans un recoin, derrière un vieux bâti de concasseur, il y a une
roulotte de bohémien, stationnée là, définitivement l’occupant des lieux ne
quitte plus les parages. Les brancards restent dressés vers le ciel, un bout de
tuyau coiffé d’une girouette perce le toit. Un escalier de bois permet
d’atteindre la double porte arrière, vernie avec deux barres obliques en
laiton, pour pousser. La peinture, qui fut bleue, est maintenant délavée, les
roues s’enfoncent dans l’herbe. Aux fenêtres, des rideaux ramenés en bas sur un
côté. Sur une corde extérieure, sèche du linge intime. C’est l’antre d’une certaine
Marie, que d’aucuns appellent la « Belle-en-cuisses ». Une personne
du sexe, comme on dit, qui en fait n’habite ni à Saint-Prix, où on ne la voit
jamais, ni à Lapalisse, où elle se rend de temps à autre, faire quelques
courses, histoire de prendre l’air à son renard mité, qu’elle trimbale en
sautoir autour de son cou. Elle a atterri là dans des circonstances curieuses.
Bien plus jeune, elle aurait exercé un très vieux métier dans la capitale, à
moins que ce ne soit à Hambourg, à Brest ou à Alger. On dit aussi qu’elle
n’avait jamais été plus loin que Montluçon. On dit aussi qu’elle avait été
recueillie un jour, à la suite d’on ne
sait quelle détresse, par un vieux bonhomme, propriétaire de la roulotte et
d’un manège de chevaux de bois. Puis ce bienfaiteur incapable d’aller plus
loin, s’était arrêté dans la carrière et était mort, peu après, dans la
guimbarde. La Marie
était demeurée sur place, vendant cheval et manège pour subsister. Avec le
temps, certaines choses n’étant pas faites pour effrayer, elle avait repris sa
coupable industrie, se constituant un réseau d’abonnés, reçus exclusivement sur
rendez-vous.
Il arrive qu’en passant en ces lieux, on aperçoive un vélo mal
dissimulé dans un fossé, voire une voiture et son cheval, dont le propriétaire
est momentanément ailleurs. Parfois, la Belle-en-Cuisses apparaît derrière ses rideaux.
Elle a un visage boursoufflé de blonde sur le déclin, le cheveu rare et
négligé, les lèvres trop rouges, et il lui manque des dents. Quand elle parle,
elle a la voix éraillée, grasseyante, comme à Paris. Un mégot éteint au coin de
sa bouche, elle n’hésite pas à interpeller, en les tutoyant d’emblée, des
passants toujours interloqués, qu’elle ne connaît même pas.
De temps à autre, on peut la voir surgir sur le seuil de sa roulotte,
en chemise douteuse, débraillée, jetant à la volée, droit devant, dans un grand
geste d’amour propre, le contenu d’une cuvette en émail bleu".
S. HUG
HUGSTEPHANE@aol.com
S. HUG
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