dimanche 19 février 2012

Les années noires racontées par Odette Schwartz (deuxième partie)



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Le 30 juin 44, Lapalisse fut investie par l’armée allemande. Mon père qui était ce jour-là garde-pont a été contrôlé par les allemands et arrêté ayant une carte d’identité portant la mention “Juif “. Vers 9 heures du matin, notre propriétaire est monté jusqu’à notre logement pour nous dire qu’une rafle avait eu lieu et qu’on avait arrêté le colonel RIOU. Ma mère et moi étions étonnées que mon père ne soit pas venu nous prévenir, Je suis donc allée vers le pont de la Besbre, une de mes camarades de classe, Yvette Mazzia, habitant une maison avec vue sur le pont, m’appella pour me dire que mon père avait été arrêté. Je suis retournée à la maison pour le dire à ma mère, elle prépara quelques effets pour que je puisse les apporter à mon père ! Ma camarade Yvette me voyant revenir me demande où j’allais. Quand je lui dis ce que j’allais faire, elle s’exclama « tu es folle !», je vais aller les porter. Elle fut la première à m’avoir sauvé la vie.

Par un hasard de l’existence, 59 ans plus tard, j’ai retrouvé cette camarade qui habitait aux Etats-Unis, au Texas. Je suis allée la voir à Austin, les retrouvailles furent très émouvantes .J’ai su alors qu’elle a eu des problèmes avec les allemands qui voulaient connaître ses liens de parenté avec mon père. C’est le maire d’alors qui est intervenu pour la faire partir rapidement. Quand je revins chez nous, j’ai déménagé dans l’entresol de notre pavillon, les choses qui me paraissaient importantes pendant que ma mère, dans sa grande candeur, faisait une démarche pour savoir de quoi il s’agissait.

De mon côté ayant fini mon transfert, je suis allée chez nos voisins, la famille Charon, rue du 11 Novembre .Lorsque ma mère revint, j’ai dit à nos voisins de lui demander de me retrouver chez eux. Après quelques propos, elle insista pour remonter chez nous, j’ai essayé de la dissuader. Pour ma part, je refusai de remonter dans notre logement. A peine monta-t-elle l’escalier qui accédait à notre logement que les allemands arrivèrent avec mon père obligé de leur montrer où nous habitions. La nasse allemande se refermait sur elle ! Comme nos voisins craignaient une fouille des maisons voisines pour me trouver, je suis partie sous le nez des allemands, pour aller dans leur maison qui se trouvait au fond d’une impasse, place du marché.

Une dame, je crois Mme Laurent, me voyant passer me fit rentrer chez elle, elle savait ce qui s’était passé pour mon père. Dans l’après midi, notre propriétaire Mme Roche a récupéré chez nous ma fausse carte d’identité cachée dans notre logement. Le soir, des amis réfugiés de Lorraine, Les DANIELE, sont venus me chercher . Ils m’ont amené, à travers champs, jusqu’à leur maison sans que leurs enfants, qui étaient petits, ne sachent que j’étais là. J’y suis restée deux jours, après lesquels les Daniel m’ont amené en bicyclette chez le maire de St Martin d’Estreaux. J’ai passé un jour et une nuit dans cette famille.Le lendemain, de très bonne heure, le Maire m’a amenée à la gare pour prendre le train dans lequel était Marie Danièle et qui allait de Lapalisse à L’Arbresle, où se trouvait ma soeur Raymonde. En attendant le train, j’étais seule sur le quai lorsque le chef de gare s’approcha de moi en me disant « Vous êtes mademoiselle Schwartz ?». Imaginez dans quel état de panique j’étais ! Il a tout de suite ajouté « Ne vous inquiétez pas, je suis un ami. Je dois vous donner de l’argent que des personnes qui sont chez moi vous remettent pour parer à vos dépenses immédiates ». Je refusai, mais il a insisté, puis est parti.
Quelle émotion ! Le Maire qui était plus loin vint me dire qu’il avait vu le chef de gare mais il ne s’était pas approché car il savait que c’était un résistant. Enfin le train est arrivé, le voyage s’est écoulé sans histoire, nous étions à l’hôpital de l’Arbresle.

C’était un moment terrible pour ma soeur d’apprendre que nos parents avaient été pris par les allemands. Cela a eu beaucoup de répercussion sur sa santé pendant un bon moment. Ma soeur m’a pris sous son aile. Avec Soeur Marie-Alice, elles ont trouvé pour moi un pensionnat à Savigny, à 5 Km de l’Arbresle, où des religieuses courageuses et conscientes de ce qu’elles faisaient m’ont reçu dans leur pensionnat, où je suis restée jusqu’à fin septembre 1944, après le débarquement allié sur les sur les plages de la Méditerranée et que Paris fut libérée.

J’ai vu les premiers soldats libérateurs, le 25 Août 1944, des Américains, des Français, une immense joie dans notre tristesse, nous avions encore l’espoir de revoir nos parents. Qui pouvait imaginer une telle fin ? Quinze jours après la libération de Paris, nous retournions à Lapalisse, nous faisions les paquets des choses que nous comptions emporter et nous partîmes par le premier camion sans bâche qui allait jusqu’à Paris où nous rejoignîmes nos oncles et tantes qui nous accueillirent à bras ouverts.

Une chaîne d’au moins dix personnes m’a permis d’échapper aux Allemands et aux camps d’extermination.

Nos parents ont quitté Drançy le 30 Juillet 1944. Ils ont été déclarés décédés à Auschwitz le 5 Août 1944. C’est une plaie qui restera ouverte jusqu’au bout de ma vie.

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Odette Schwartz

mercredi 15 février 2012

18 juin 1939 : inauguration du Jardin public de Lapalisse





Le jardin public de Lapalisse, fut la réalisation-phare de la municipalité de Charles Rousset, élu maire en 1935.


Les festivités débutèrent le samedi 17 juin par une retraite aux flambeaux et une fête foraine. Le lendemain, les principales artères de la ville furent décorées pour accueillir les officiels : Lucien Lamoureux, député de l'Allier, M. Adam, préfet de l'Allier, M. Vernay, sous-préfet de Lapalisse, M. Jean Beaumont, sénateur de l'Allier, M. Faure-Laurent, architecte du projet, une demi-douzaine de Conseillers généraux, les maires de l'arrondissement... Seul, le ministre du Commerce, devant à l'origine présider les festivités, ne put venir, retenu par une autre inauguration... celle de la foire de Zurich. Ce fut sous un soleil éclatant qu'une foule importante se pressa dans les allées du tout nouveau parc lapalissois. L'Union Musicale prenant possession du kiosque divertit les visiteurs. Après une rapide visite de la nouvelle école primaire édifiée Avenue de la Gare et un banquet réunissant une centaine de convives à l'Hôtel Renaud, vers 15 heures, un défilé de chars fleuris s'ébranla dans les rues de Lapalisse. Tout s'acheva pour un nouveau et ultime concert de l'Union Musicale sous le marché couvert et une bataille de fleurs. La fête foraine résonna jusqu'à une heure tardive... (Le Progrès de l'Allier du 19 juin 1939)


S. HUG


(HUGSTEPHANE@aol.com)

mardi 14 février 2012

Lucien Colon : le maire de l'expansion


COLON Lucien

(Saint-Prix 1903 - Lapalisse 1974)

Chevalier des Palmes académiques

Médaille d'honneur départementale et communale

Membre du Comité de Libération de Lapalisse en août 1944

Conseiller municipal de 1945 à 1947 et de 1953 à 1959

Maire de Lapalisse de 1959 à 1971

Conseiller général du Canton de Lapalisse de 1951 à 1974

Représentant de commerce, Montplaisir


La conquête du pouvoir local par Lucien Colon fut en tout point remarquable. Alliant à la fois l'engagement associatif d'avant-guerre, l'entrée en résistance sous l'occupation et, enfin, la constitution d'un solide réseau de relations servi par son activité professionnelle, Lucien Colon fut pendant plus de trente ans un homme incontournable dans le paysage politique local qu'il finit par dominer. Animé d'une saine ambition, il maîtrisa à merveille, en bon représentant de commerce qu'il fut, la gestion de son image personnelle auprès de ses électeurs et de ses administrés. Véritable batelleur aux allures de fort des halles, Lucien Colon laissa à l'Assemblée départementale le souvenir d'un homme doté d'une faconde buissonnière.
Bien que Saint-Prissois d'origine, Lucien Colon eut une jeunesse avant tout lapalissoise. Issu d'un milieu modeste, Lucien Colon entra dans la vie professionnelle en tant que représentant de commerce et se spécialisa vite dans la vente d'articles chaussants d'intérieur. A la fin des années 1920, Lucien Colon épousa une jeune lapalissoise, Renée Reveret, fille d'un petit commerçant. Lucien Colon se forgea une première culture politique auprès des Radicaux lapalissois (le Docteur Baudon, Auguste Coche, Claudius Papon...) Néanmoins, ce fut sur la liste d'opposition d'Action communale qu'il se présenta pour la première fois aux élections municipales de mai 1935. Barré par son manque d'envergure publique, Lucien Colon ne recueillit que 348 voix. Mobilisé à l'automne 1939, Lucien Colon fut fait prisonnier par les forces allemandes lors de la Débâcle et ne recouvra la liberté que courant 1942.




Les années d'Occupation furent déterminantes dans l'itinéraire politique de Lucien Colon. Devenu délégué local aux prisonniers de guerre, la renommée de notre homme se fortifia de jour en jour. Voyageur de commerce infatigable, Lucien Colon recommença à sillonner tant bien que mal les routes de la région servant à l'occasion d'agent de liaison entre différents réseaux de résistance. La Libération venue, Lucien Colon était devenu un personnage incontournable de la vie lapalissoise. Dès août 1944, il siégea au sein du Comité de Libération qui administra la ville de Lapalisse jusqu'aux élections municipales de mai 1945. Confortablement élu conseiller municipal avec 1100 voix, Lucien Colon prit peu à peu ses distances par rapport aux orientations politiques de Charles Bécaud. Il décida de ne pas se représenter aux élections municipales d'octobre 1947.
Quatre années plus tard, notre homme retrouva le devant de la scène politique locale de la plus brillante des manières. Candidat républicain indépendant aux élections cantonales d'octobre 1951, Lucien Colon se retrouva au coeur d'une quadrangulaire opposant le conseiller général sortant, maire du Breuil, Antoine Brun (SFIO), et deux autres Lapalissois, Paul Baptiste (PC) et Jean-Marie Depeyre (RPF). Au premier tour, Lucien Colon n'arriva qu'en troisième position avec 1130 voix. Cependant, Antoine Brun, froissé de n'avoir pu être élu dès le premier tour, se retira de la course. Profitant d'un très bon report des voix du candidat gaulliste, Lucien Colon fut élu avec 2116 voix, contre 1866 voix à Charles Bécaud (qui avait remplacé au pied levé Antoine Brun sous l'étiquette de la Démocratie sociale) et 1622 voix à Paul Baptiste. Mais au-delà de ce succès électoral, Lucien Colon se repositionnait auprès des électeurs lapalissois : avec 942 voix, Lucien Colon devançait outrageusement le candidat communiste (341 voix) et surtout le maire de Lapalisse, Charles Bécaud (260 voix). Deux ans plus tard, Lucien Colon se représenta aux élections municipales sur une liste unique qu'il codirigeait avec Gilbert Barthelot. Récoltant 1184 voix, Lucien Colon devançait d'une longueur tous ses colistiers. Une fois élu maire de Lapalisse, Gilbert Barthelot créa un troisième poste d'adjoint afin de récompenser le soutien politique que lui avait fourni Lucien Colon.
Confortablement réélu conseiller général du canton de Lapalisse au premier tour du scrutin de 1958 (3367 voix contre 1372 à Gaston Gay (PC) et 762 à Jean Parillaud (SFIO), Lucien Colon conduisit seul une liste unique aux municipales de mars 1959. Sans surprise, les 21 colistiers furent élus dès le premier tour. Les deux grands objectifs de la politique communale de Lucien Colon furent de moderniser la ville et d'encourager le développement économique. Conseiller général depuis déjà deux mandats, Lucien Colon travailla en liaison directe avec le Comité d'expansion économique de l'Allier et les différents services départementaux dont il avait une excellente connaissance. Son travail de terrain était excellemment relayé (d'aucuns diront pensé) par le secrétaire de la Mairie de Lapalisse, Jean Daumur, futur conseiller général. Les entrées de la ville furent embellies, de nouveaux égouts furent créés, l'éclairage public généralisé à tous les quartiers, un nouveau dispensaire inauguré... A partir du début des années 1960, la Société d'exploitation des Eaux de Charrier (Saint-Priest-Laprugne) choisit d'installer en gare de Lapalisse-Saint-Prix un service d'expédition. En 1963, les époux Batigne créérent les Etablissements VINYCUIR (maroquinerie scolaire) sur la toute première zone d'activité lapalissoise, avenue de Verdun.
En novembre 1962, Lucien Colon accepta opportunément (l'opportunisme n'étant pas la moindre de ses qualités) de devenir le suppléant de Pierre Coulon, député-maire de Vichy, lors des législatives de novembre. Le but de la manoeuvre était double : pour Pierre Coulon, l'alliance avec un homme du cru sachant parler au peuple était nécessaire, pour Lucien Colon, la survie politique passait désormais par un rapprochement avec les gaullistes départementaux. Pourtant, peu de liens unissaient les deux hommes. Cette alliance de circonstance fut facilitée par l'entremise d’un ami commun, M. Montagnier, marchand de vins à Lapalisse. Au second tour, Pierre Coulon perdit son siège de député au profit du centriste cussétois, Gabriel Péronnet, qui inaugura ainsi une brillante carrière politique. Le même mois, Lucien Colon se présenta sans succès aux élections sénatoriales. Défendant les couleurs du radicalisme bourbonnais, il espérait rassembler derrière son nom une grande partie du collège électoral de l'Est de l'Allier. La défaite fut cuisante.
Aux élections cantonales de mars 1964, le paysage politique local était singulièrement différent de celui de 1958. Au premier tour, pas moins de six candidats se retrouvèrent en compétition. Cette situation ne pouvait que favoriser l'éparpillement des voix d'autant plus que la plupart des candidats se distinguaient par leur jeunesse. Arrivé en tête au premier tour avec 1267 voix, Lucien Colon triompha au second tour avec 2038 voix (contre 1666 à Claude Méténier, radical-socialiste, droguiste lapalissois et 1317 à Jean Sylvaire, maire d'Arfeuilles, candidat indépendant).Bien que réélu, Lucien Colon ne pouvait ignorer que plus d'un tiers de ses électeurs de 1958 (soit près de 1 000 voix) lui avaient tourné le dos.

Aux élections municipales de 1965, la liste dirigée par Lucien Colon se retrouva une nouvelle fois seule en lice. L'ensemble de la liste fut confortablement élue dès le premier tour de scrutin, mais il est important de noter que Lucien Colon se retrouva devancé au nombre des voix par dix de ses colistiers : en l'espace de deux années, les électeurs avaient réduit de façon notable la marge de manoeuvre du maire de Lapalisse.
Durant son second mandat municipal, Lucien Colon continua à encourager le développement économique de la ville. En 1966, un abattoir flambant neuf fut ouvert sur le site de la Zone d'Activités de Lubillet. En 1969, le principe de la fondation d'une société regroupant les intérêts de six volaillers (quatre lapalissois, MM. Orrechia, Cote, Baillon et Mme Barret, auxquels se sont greffés M. Delorme de Changy et M. Pralut de Saint-Martin d'Estreaux) fut entériné. La SAVAB (Société des Abattoirs du Val de Besbre) débuta ses activités en mars 1970 tout contre le nouvel abattoir municipal. Alors qu'à la fin des années 1950 Lucien Colon avait soutenu le dossier de l'Ecole ménagère agricole inaugurée en 1959 (l'actuel Lycée Professionnel Agricole Antoine-Brun), il porta à bout de bras celui de la création d'un collège d'enseignement secondaire qui fut inauguré en 1968 (rebaptisé Collège Lucien Colon en 1982).
Aux élections cantonales de mars 1970, Lucien Colon reconquit une partie de son électorat et fut brillamment réélu conseiller général du Canton de Lapalisse dès le premier tour avec 2356 voix (contre 1205 à Gaston Gay, instituteur lapalissois, Parti communiste et 545 voix à Jean Laurent, entrepreneur lapalissois, sans étiquette). Lucien Colon décida de ne pas se représenter aux élections municipales de mars 1971. Le conseil municipal sortant se présenta donc uni mais sans véritable champion devant les électeurs lapalissois. Au terme d'une campagne indécise, la liste rivale obtint une courte majorité et l'inattendu Docteur Grèze fut élu pour la première fois maire de Lapalisse.
Le 14 novembre 1974, Lucien Colon s'éteignit à son domicile de la rue Marcel Déborbes, fier d'avoir transformé sa bonne ville de Lapalisse, mais ne laissant derrière lui aucun véritable héritier politique, faute peut être de n'avoir jamais eu d'enfants.

S. HUG
(HUGSTEPHANE@aol.com)

samedi 11 février 2012

Les années noires racontées par Odette Schwartz (Première partie)

Beaucoup de Lapalissois ignorent aujourd’hui que notre ville fut durant la Seconde Guerre Mondiale un refuge pour de nombreuses familles israélites du Nord et de l’Est de la France qui avaient fui l’avancée des troupes nazies. Soucieux de conserver la mémoire de cet exil intérieur, PALICIA vous propose le témoignage de Madame Odette Schwartz qui vécut à Lapalisse de juillet 1940 à juin 1944.

Dès le début du mois d’août 1939, Strasbourg ville frontière est évacuée de tous ses habitants qui sont dirigés par l’Etat vers le Périgord et ses environs. Notre famille s’est repliée d’abord sur un village appelé Itterschwiller sur la route des vins à 40 km de Strasbourg, puis à Obernai, à 30 Km de Strasbourg .Le 10 Juin 1940 mon père est rentré à la maison en s’écriant “ les Allemands arrivent nous partons jusqu’à la frontière espagnole s’il le faut !“. (Mon père avait fait la guerre 14-18). En une heure de temps nous avons mis quelques effets dans le camion de notre commerce, déchargé une partie des chaussures et fait de la place pour des amis s’ils souhaitaient partir avec nous. C’est ainsi que nous sommes partis sur les routes de France. Nous avons suivi un triste cortège de gens qui fuyaient, entassés sur des charrettes, à bicyclette ou tirant des charriots.

Nous avons dormi de façon improvisée pendant quatre jours : d’abord dans un manoir à Nuit St Georges, ensuite à la belle étoile, puis sous un abri de fortune (mon père était très ingénieux), et enfin sur le sol d’une école .....
Au bout de quatre ou cinq jours nous sommes arrivés à Lapalisse, nous avions fait 17 kilomètres dans la journée !
Pour chercher un peu de répit, nous nous sommes arrêtés le long d’un trottoir devant une fenêtre ouverte, une dame très gentille nous a invité à entrer chez elle et nous a servi une collation. Pendant ce temps notre père est allé chercher un hôtel en mesure de nous héberger, nous étions épuisés, affamés et “l’Hôtel des Flandres” avait des chambres disponibles. Nous pouvions enfin dormir dans un vrai lit !

Le lendemain matin, en sortant de nos chambres pour continuer notre route, nous nous sommes trouvés nez à nez avec des soldats allemands. Ce fut l’une des rares fois où je vis mon père avoir les larmes aux yeux. Nous nous sommes arrêtés là. Cela ne servait plus à rien de continuer.

Au bout de quelques semaines, il nous devenait de plus en plus pénible de manger dans la salle où triomphaient les soldats allemands. Mes parents ont cherché à se loger d’une manière moins précaire. Un notaire nous a trouvé un gentil pavillon, nous a donné quelques meubles et un peu de matériel de cuisine car la maison était vide. Mes parents ont acheté des lits. C’est ainsi que nous sommes restés quatre années jusqu’à ce que mes parents soient arrêtés par les Allemands le 30 juin 1944. J’ai échappé de justesse à cette rafle, j’ai rejoint ma soeur qui travaillait dans un hôpital à l’Arbresle près de Lyon. J’y reviendrai par la suite.





La famille Schwartz à Lapalisse en 1944




Quand nous nous sommes installés à Lapalisse, nous habitions à côté du marché, c’était bien animé une fois par semaine. Nous avons été bien accueillis, quoique tout ne se soit pas fait en un jour, nous avons eu des contacts avec d’autres réfugiés alsaciens et lorrains juifs et non juifs. Nous avions de bonnes relations avec nos voisins et avec des paysans qui venaient de la campagne alentour pour vendre leurs produits au marché. Au bout d’un certain temps, on s’est lié d’amitié avec certains d’entre eux qui venaient parfois se réchauffer l’hiver à la maison. J’allais au Cours complémentaire que j’aimais beaucoup, ma soeur suivait à Vichy des cours de comptabilité et de secrétariat. Mon père cultivait un jardin, élevait des poules, maman tenait la maison. Les jours passaient, loin de toutes nos affaires, de nos meubles, de nos souvenirs : notre coeur était resté en Alsace. Pour la vie religieuse il n’y avait aucun lieu de culte, chacun fêtait la Pâque, “Pessah” et le nouvel an “Roshachana” chez lui en famille.

En 1942 commençaient à courir des informations : les allemands demandaient aux jeunes non actifs de travailler en Allemagne. Mes parents craignant que ma sœur, qui avait alors 22 ans, soit concernée, cherchèrent un travail pour elle. Des amis réfugiés lorrains, les Daniele, les mirent en relation avec la mère supérieure d’un hôpital près de Lyon à l’Arbresle. C’est là que ma soeur Raymonde, sous une fausse identité, a trouvé un travail d’aide soignante, secrétaire, comptable, auprès de la Directrice Soeur Marie Alice. Raymonde eut une profonde affection pour elle et moi aussi. Nous l’avons suivi bien des années après la guerre, jusqu’à la fin de ses jours

A partir de 1942 nous avions de terribles nouvelles de ma famille restée à Paris. Trois de mes cousins germains ont été arrêtés lors de la rafle du Vel d’hiv. Nous pensions encore qu’il s’agissait de travaux forcés en Allemagne. Qui pouvait imaginer l’horreur qu’ils ont vécu ? Ils ne sont jamais revenus...

A Lapalisse nous étions entourés de sympathie, les seules brimades que nous ayons connues, émanaient d’une famille doriotiste qui habitait au coin de notre rue. Nous suivions les mouvements des Américains et des Russes, les actes de la résistance, mais aussi, hélas, les représailles de l’armée allemande.

J’avais de bonnes camarades de classe. En 2004 nous avons organisé une rencontre des anciens, c’était très touchant. Certains m’ont manifesté leur sympathie sachant que mes parents avaient été déportés, nous continuons de nous téléphoner avec quelques uns.

Côté ressources, nous avons vendu tout le stock de chaussures que nous avions dans notre camion ainsi que ce dernier avec lequel nous étions arrivés. Nous avions l’allocation aux réfugiés d’Alsace Lorraine, une maigre retraite d’ancien militaire de mon père (il avait été 10 ans à la légion étrangère, avait fait la guerre 14-18, puis, gendarme-interprète lorsque l’Alsace était redevenue française). Il n’était pas question de faire des dépenses futiles. Mon père et moi partagions une bicyclette; mon père se déplaçait pour aller au ravitaillement, au jardin qu’il cultivait et à la pêche pour varier notre nourriture.
Moi, je faisais des promenades avec des amis et camarades et allais parfois dans des fermes pour un peu de ravitaillement. La vie suivait son cours. Puis vint l’allégresse. Les Américains ont débarqué en Normandie : enfin une lueur d’espoir ! Puis vint le malheur....


(A suivre...)
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Odette Schwartz

dimanche 5 février 2012

LES CARNETS DE BORVO : la galaxie montluçonnaise.

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A la limite de trois régions administratives (Auvergne, Limousin et Centre) et très excentrée par rapport au Val d’Allier qui structure notre département, la région montluçonnaise forme, le long du Cher, un territoire à part.
L’identité montluçonnaise, mélange de cultures berrichonne et bourbonnaise et de mémoire industrielle, fut mise en avant par le Docteur Georges Piquand, l’écrivain Jean-Charles Varennes, le magistrat André Guy, l’archéologue amateur Maurice Piboule et d’une façon générale par la Société des Amis de Montluçon créés en 1911. Avec ses 39 000 habitants, Montluçon est la première ville du Bourbonnais (la seconde d’Auvergne après Clermont-Ferrand) et son agglomération de 78 000 habitants (regroupant 32 communes) est ni plus ni moins que le second pôle urbain régional après la métropole clermontoise et englobe le petit centre industriel de Commentry (6 800 h) et la modeste station thermale de Néris-les-Bains (2 700 h). Au cœur de cette aire urbaine, la Communauté d’agglomération de Montluçon, créée en 2000 et actuellement présidée par le maire de Montluçon, Daniel Dugléry, rassemble 63 000 habitants et dix communes (Désertines 4 400 h, Domérat 9 000 h, Lamaids, Lavault-Sainte-Anne, Lignerolles, Montluçon, Prémilhat, Quinssaines, Saint-Victor et Teillet-Argenty).
Autre particularité de taille : avec 31 % d’ouvriers (moyenne nationale 25 %), la population active montluçonnaise demeure résolument ancrée dans le secteur secondaire et cela malgré deux périodes de forte désindustrialisation : 1950-1970, - 3 300 emplois industriels et 1980-2000 : - 2 000 emplois industriels). Le combat pour le maintien des emplois industriels demeure d’ailleurs encore une priorité dans le bassin montluçonnais. Ces deux crises eurent comme corollaires : un net fléchissement démographie (57 000 montluçonnais en 1968, 50 000 en 1982 et donc 39 000 aujourd’hui), l’apparition de quartiers sensibles à réhabiliter et revitaliser (Bien-Assis, Fontbouillant et Cités Dunlop), ainsi qu’une perte d’image que l’actuelle municipalité essaye de corriger en développant notamment des animations culturelles conçues autour du passé médiéval de la ville. Enfin, même si Montluçon a basculé à Droite en 2001, l’ancrage à Gauche du vieux bassin industriel montluçonnais est encore très prononcé.





Dans les années 1960, la ville de Montluçon rayonnait sur une aire d’influence qui couvrait tout l’ouest du département de l’Allier, une bonne partie du département de la Creuse, le Nord-Ouest du Puy-de-Dôme, quelques cantons du Cher et de l’Indre. De nos jours, cette zone d’influence va en se rétractant car elle s’étendait et s’étend toujours sur des zones rurales aujourd’hui en profonde déprise et elle pâtit en plus de la faiblesse du statut administratif de la ville. De nos jours, Montluçon rayonne encore solidement sur la Vallée du Cher jusqu’à Saint-Amand-Montrond, sur la moitié est du département de la Creuse, sur la moitié nord des Combrailles et sur le tiers le plus occidental du département de l’Allier. Montluçon offre néanmoins une gamme très complète de services et d’administrations : centre hospitalier, tribunaux de première instance, sous-préfecture, administrations territoriales, commerces variés et grandes surfaces, salle de cinéma, salles de spectacles (Centre Athanor inauguré en 1985, Théâtre des Fédérés, Le Guingois), quatre collèges, deux lycées généraux (avec classes prépas et BTS), deux lycées professionnels, un IUT créé en 1968, un IFAG, une Ecole de la Gendarmerie (créée en 1976 dans la caserne Richemont) et l’ACI Montluçon (Marketing et affaires internationales).
Le positionnement de Montluçon par rapport aux grands axes de communication pose cependant problème : l’agglomération est située à dix kilomètres de l’A 71. Une bretelle autoroutière (l’A714) reliant l’agglomération montluçonnaise à l’A 71 et à la RCEA doit être mise en service en 2011. Il faut également presque trois heures pour gagner la Capitale par le train. De plus, l’aéroport de Montluçon Guéret situé sur la commune creusoise de Lépaud à vingt kilomètres de Montluçon ne possède qu’un trafic très limité. La ville de Montluçon ne possède pas d’organes de presse indépendant (le dernier quotidien montluçonnais Centre-Matin a disparu en 1968) et elle n’abrite qu’une agence du quotidien clermontois La Montagne.

A l’origine, la ville de Montluçon se développa autour d’un château édifié au sommet d’un piton rocheux dominant la confluence du Cher et de l’Amaron. Ville-frontière au XIIe siècle, située face aux Anglais, Montluçon résista à plusieurs sièges et entra définitivement dans le giron des Bourbons en 1202. Avec le rattachement du Bourbonnais à la Couronne en 1531, Montluçon passa du statut de résidence ducale à celui de ville-marché de province dotée d’une poignée de juridictions secondaires. En 1790, Montluçon tenta en vain de prendre la tête d’un département centré sur le Val de Cher.

L’âge du fer et de l’acier - Au cours du XIXe siècle, Montluçon fut véritablement bouleversée par la révolution industrielle. Avec l’achèvement du canal du Berry (1808-1834), des fonderies furent créées dès 1842 dans le quartier Saint-Jacques utilisant à la fois le minerai de fer du Berry et le charbon de Commentry : les Usines Saint-Jacques ouvrent leurs portes en 1848. Outre-Cher, sur la rive gauche de la rivière, le quartier ouvrier de Ville-Gozet vit alors le jour tirant son nom du tailleur d’habit Gozet rayé par toute la vieille ville pour son amour de la chopine et qui fut l’un des premiers artisans à s’établir dans ce nouveau quartier. De 5 000 habitants en 1840, la population montluçonnaise bondit à 28 000 habitants en 1890. Les usines Saint-Jacques, appartenant au groupe Châtillon-Commentry, se développèrent de façon considérable pendant le Grande Guerre devenant alors le premier pôle sidérurgique national. Le maximum de production fut atteint en 1948 avec 58 000 tonnes. En 1964, les forges Saint-Jacques cessèrent leur activité laissant sur le carreau 880 métallos. Les derniers ateliers de l’aciérie de la Société Saint-Jacques fermèrent définitivement en 1972. A bout de soufle, la Société des Ateliers Pinguely Ville-Gozet cessa ses activités à son tour en 1978.
De nos jours, seules la Sociét AMIS et la Société Bréalu continuent à témoigner du passé métallurgique de Montluçon. Créée en 1974, AMIS (Ateliers Mécaniques et Industries Spéciales) emploient environ 600 employés. Créée en 1970, la Fonderie Bréa s’installa sur le site des Trillers, sur la commune de Vaux, en 1973. De 80 employés à sa fondation, la Fonderie Bréa employa jusqu’à 450 employés en 1996. Mise en liquidation judiciaire en 2006, la société fut rachetée en 2007 par le groupe BIOMECA qui créa la Société Bréalu qui, régulièrement en difficulté, n’emploie plus que 300 salariés. De nouveau en difficulté, et de nouveau mise en liquidation judiciaire en 2013 (les ite fut d'ailleurs occupé par les salariés menaçant de faire sauter des bonbonnes de gaz) la Fonderie de Vaux n'emploie plus qu'une trentaine de personnes.
Dunlop-France. La société Dunlop s’installa à Montluçon en 1921 et produisit dès le départ des pneumatiques dans des ateliers employant 1 200 personnes. En 1928, Dunlop emploie déjà 3 500 ouvriers, puis 3 900 à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. A cette époque, les immigrés italiens, polonais et espagnols sont déjà nombreux. Durant la nuit du 15 au 16 septembre 1943, 350 bombardiers de la RAF pilonnèrent les usines et les cités Dunlop, ainsi que les ateliers de la SAGEM : 50 morts, 3 000 sinistrés, les cités sont en grande partie détruites par un gigantesque incendie. A leur apogée, en 1948, les ateliers Dunlop emploie 5 500 personnes et produisent 25 % des besoins en pneumatiques du marché national. Le taux de syndicalisation CGT y est alors élevé et le PCF puissant. A partir des années 1960, les effectifs Dunlop commencèrent à fondre pour ne plus regrouper que 2 800 ouvriers en 1980. Le 5 octobre 1983, la Société Dunlop-France dépose le bilan. Le 14 octobre 1983, 20 000 personnes défilent dans le cadre d’une opération « ville-morte » pour sauver les emplois Dunlop. La Société japonaise Sumitomo rachète quelques mois plus tard Dunlop-Montluçon mais licencie 1 300 employés. Goodyear rachète le site de Montluçon en 2000. De nos jours, les effectifs stagnent autour de 800-850 personnes.
Deux autres piliers du bassin industriel montluçonnais : la SAGEM et Landis et Gyr. La SAGEM (Société d’Application Générale Electrique et Mécanique) fut créée en 1933 à Domérat. Elle s’est très tôt spécialisée dans le matériel de précision pour la Défense. Après avoir employée 2 500 personnes dans les années 1960, la SAGEM n’emploie plus aujourd’hui que 1 200 personnes. La Société suisse Landis et Gyr s’est installée à Montluçon en 1939 pour y produire des compteurs électriques, des disjoncteurs. Après avoir employée jusqu’à 1 400 personnes dans les années 1960, les effectifs tombèrent à 900 en 1990, puis 350 en 1996, année durant laquelle le site fut racheté par le groupe Siemens.
Le bassin d’emploi montluçonnais est complété par les industries de Commentry, vieux centre minier du XXe siècle. Les deux principaux sites sont Rhône-Poulenc Nutrition Animale (700 emplois) et la société Erasteel qui produit des aciers rapides (300 emplois).


S. HUG