jeudi 4 octobre 2012

Atlas historique du Bourbonnais sous l'Ancien Régime : Les "Bons Pays" (Première partie)


Les « Bons Pays » bourbonnais dessinaient une patte d’oie posée au cœur de notre province. Le val d’Allier formait la branche principale de cet ensemble d’où se détachaient deux ramifications à la hauteur du bec de Sioule. Tandis qu’à l’ouest, les « Bons Pays » s’organisaient autour de la vallée de la Sioule et de la dépression de la Limagne bourbonnaise, à l’est, la route royale de Paris à Lyon, formait l’axe majeur de la Forterre. Dans l’ancienne France, le « Bon pays » était avant tout une terre à céréales ou du moins, un pays de polyculture dominée par des productions céréalières (froment, seigle, avoine) capables de nourrir de fortes communautés villageoises. On peut ainsi estimer que ces « Bons Pays » bourbonnais concentraient durant l’époque moderne près des deux tiers de la population des élections de Moulins et de Gannat (143 000 habitants à la fin du XVIIe siècle – 250 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle) et sans doute la moitié de la population totale du Bourbonnais (180 000 habitants à la fin du XVIIe siècle - 320 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle). Dans le pays gannatois d’A. Freydeire, (1) la densité moyenne en 1789 était de 60-70 habitants par kilomètre carré soit un peu plus du double de la moyenne généralement retenue pour le Bourbonnais à la même date. Les fortes densités rurales des « Bons Pays » étaient renforcées par un solide maillage urbain. Si l’on excepte Montluçon, toutes les villes importantes de la province se trouvaient dans cet espace. 

Vue du pays gannatois

 Tous les observateurs de l’époque moderne ont insisté sur la complémentarité de l’économie agraire de ces « Bons Pays ». Nicolas de Nicolay dans sa Générale description du Bourbonnais (1569) notait ainsi que la châtellenie d’Ussel était « située en bon païs gras et fertile en bledz, vins, foings, huilles et autres fruictz », Gannat se trouvait au centre d’un pays fertile où « du cousté d’orient de ladicte ville y a la belle plaine, terres fortes à froment, prez et grandz paccaiges et sur la montagne entre l’occident et le septentrion sont les grandz vignobles de longues estendues qui produisent abondance de bons vins et délicieux. » (2) Dans son Mémoire de la Généralité de Moulins (1698), l’Intendant Le Vayer notait à son tour : « le pays est uni d’une terre fertile principalement en fruits, blés et seigle, surtout la châtellenie de Murat, tout le côté de Varennes et La Palisse sur le grand chemin de Lyon. » (3) Cette variété et cette complémentarité des productions prenaient place dans le cadre d’une rotation triennale des cultures : « Les terres d’une ferme sont divisées en trois parties, chaque année, l’une de ces trois parties est dépouillée d’une récolte principale en bled ensemencée dans l’automne précédent. La seconde partie pour un tiers est chargée au printemps et ensuite dépouillée d’une récolte en orge, chanvre, avoine et fèves et les deux autres tiers restant en patureaux. La troisième est en culture préparatoire pour la semence de la récolte principale en bled de l’année qui suit. En cette seconde année, la première partie produit la récolte en orge, chanvre, avoine et fève, la seconde partie est mise en culture et ensemencée pour la récolte principale en bled de la troisième année. Ainsi une terre produit deux récoltes en trois ans. » (4) Certes, dans son rapport au Préfet de l’Allier, Jean-Marie Cossonnier, sous-préfet de Lapalisse, décrivait avant tout les systèmes culturaux de la Forterre. Cependant, la même rotation prévalait dans la région de Gannat et de Vichy et sans doute de façon plus ou moins dégradée dans la plupart des « Bons Pays » du Bourbonnais. Cette rotation triennale permettait d’intégrer des cultures nouvelles comme celle de la pomme de terre vers 1770 ou de réserver une place de plus en plus grande à la vigne, d’un rapport sans cesse croissant au XVIIIe siècle. Si la vigne était un élément essentiel des « Bons Pays », ce fut surtout dans le Saint-Pourçinois que la viticulture se renforça le plus durant l’époque moderne. Déjà réputés à la fin du Moyen Age, les vins de Saint-Pourçain continuaient à être appréciés sur les marchés urbains : « On exporte sur Paris 30 à 40 mille hectolitres de vin, embarqués principalement au port de La Chaise. Les rouges sont liquoreux et susceptibles d’être conservés longtemps, plus ils vieillissent, plus ils sont délicats. Il y en a chez les plus riches particuliers qui sont en bouteilles depuis 18 à 20 ans et qu’on ne distingue pas du meilleur Bourgogne. Les blancs sont aussi très bons : ce sont ceux que l’on connaît généralement à Paris sous le nom de vins de La Chaise. » (5) Ce vignoble s’étendait à la fin du XVIIIe siècle sur près de 8 000 hectares principalement plantés en Gamay lyonnais, dit « Petit Gamay ». La culture de la vigne gagna même à cette époque des bas-fonds exposés aux gelées tardives et des escarpements difficiles à mettre en valeur.
Même si les systèmes culturaux possédaient leur propre dynamique, les céréales ne cessèrent de demeurer omnipotentes, y compris à l’intérieur du vignoble Saint-Pourçinois. Dans le pays gannatois, les grains occupaient environ les 5/6e des surfaces cultivées et réservaient une place de choix aux céréales panifiables (2/3 de froment, 1/5 de seigle, 1/5 orge-avoine). Cependant, cette maîtrise du système triennal était contrebalancée par la faiblesse de l’outillage. En 1793, le commissaire Garnier, dépêché par la Convention afin de dresser un état du département de l’Allier, notait : « Les terres à chambonnages sont labourées avec des bœufs assez forts, mais des districts étrangers. Celles à seigle, qui sont les plus étendues, sont cultivées avec des vaches ou des bœufs médiocres. Les instruments de labour les plus connus sont les araires. Les uns portent une bêche horizontale très aigue, les autres un fer de lance, d’autres, enfin, un simple coin de forme ronde avec une pointe à l’un de ses bouts. La véritable charrue n’est en usage que dans quelques cantons des districts de Gannat et de Cusset. » (6)
La force du système triennal, malheureusement desservie par la médiocrité de l’outillage agricole, pose le problème des rendements et de la productivité du travail paysan. Dans son Tableau de la situation du département de l’Allier (an IX) le Préfet Huguet prit soin de différencier les fonds de vallées des croupes argileuses : « Les terres qui avoisinent cette ville [Moulins] sont cultivées par des jardiniers dont la culture à la bêche favorise beaucoup le produit des terres. Cette ressource pourrait s’approprier à toute la vallée de l’Allier, connue sous le nom de chambonnage. Les blés y sont beaux, mais leur produit très faible : il roule ordinairement de quatre à six pour un, semence prélevée. Le produit du bétail y est aussi peu considérable, les cultivateurs en sont généralement pauvres et n’ont que l’apparence de l’abondance du moment. Une maladie, des pertes de bestiaux, une mauvaise récolte, les obligent très souvent à s’endetter vis-à-vis des propriétaires. Beaucoup d’entre eux, devenus insolvables, restent simples manouvriers jusqu’à ce que les besoins de la culture, ou de nouvelles avances, les reportent à quelqu’entreprise (…) La nature riche et riante est partout en opposition avec la misère des cultivateurs dont le sort est plus heureux dans les parties hautes composées de terres fortes, d’un fond plus rembruni. Les chênes, sorbiers, noyers, coudriers qui s’y sont multipliés en font une scène plus riante. Les travaux y paraissent mieux étendus, l’aisance des habitants plus générale, leurs habitations mieux soignées, les prairies vastes et bien entretenues, les champs clos de haies vives tandis que la majorité des terres du département presque toutes les haies en bois mort ont le double désavantage de donner au pays un coup d’œil triste et de dégrader de plus en plus les bois environnans qui fournissent à ce genre de clôture. Les bestiaux y sont aussi plus beaux et bien supérieurs à ce qu’ils sont dans les autres parties. Malgré tous ces avantages, le froment qui en forme la principale culture n’y rend que de six à sept par an, semence prélevée, calcul fort en dessous de celui qu’on pourrait en attendre. Dans toutes ces terres fortes, les parties calcaires produisent beaucoup d’orge qui fournit à la majeure partie du pain qui s’y consomme. Dans les parties argileuses, on mange généralement du seigle et souvent un mélange de seigle et de froment. L’espèce d’hommes, mieux nourris, est en général plus belle et plus forte que dans les autres parties. » (7)

Comme le nota avec tant de justesse le commissaire Garnier, les structures foncières de ces « Bons Pays » étaient intimement liées au maillage urbain : « Les propriétés sont assez divisées aux environs des villes, mais pour peu qu’on s’en éloigne, il n’est pas rare de voir quinze à vingt domaines ou fermes entre les mains du même propriétaire. Les petites fermes étant plus aisées à exploiter que les grandes et faisant proportionnellement une plus grande quantité de fumiers, sont mieux cultivées que les grandes. » (8) Du coup, la noblesse et la bourgeoise des villes des « Bons Pays » (Moulins, Gannat, Saint-Pourçain, Cusset, Vichy, Varennes, Lapalisse) dominaient largement la répartition de la propriété en constituant, par un lent travail de rassemblement parcellaire, des exploitations de 20 à 50 hectares louées de 500 à 1 000 livres par an. Face à ces gros domaines agricoles, la paysannerie ne disposait souvent que de petites exploitations (de 2 à 10-15 hectares) fragmentées sur plusieurs terroirs. D’une façon globale, on peut estimer que 25 % du sol appartenait à la noblesse, 25 % à la bourgeoisie urbaine et rurale, 10 % au clergé et, enfin, 40 % à la paysannerie, alors que cette dernière représentait environ 80 % de la population). 

Cliquez sur la carte pour l'agrandir. Commentaire de la carte : Le maillage très serré des ports fluviaux, des bacs, des relais de postes, des lieux de foires et de marchés faisait des « Bons Pays » le centre économique du Bourbonnais. Un réseau plus lâche d’hospices permettait tant bien que mal d’encadrer la pauvreté qui transitait le long des axes routiers. Enfin, ces « Bons Pays » constituaient le territoire bourbonnais le plus encadré par la monarchie qui profita amplement au XVIIe siècle de cette relative richesse pour pourvoir, aux frais des populations locales, au ravitaillement des troupes de passage (lieux d’étape).


(1)- Alfred Freydeire, ouv. Cité.
(2)- Nicolas de Nicolay, Générale description du Bourbonnais, Paris, 1569, pp. 73-88.
(3)- Mémoire de la généralité de Moulins par l’Intendant le Vayer (1698), Moulins, Crépin Leblond, 1902, p. 8
(4)- A. D Allier, Md 10, Lettre du 26 février 1810 du sous-préfet de La Palisse.
(5)- in, Augustin Leclerc, Châtel-de-Neuvre et sa région, Moulins, 1882, p. 50. Lettre de Me Andrivand, notaire à  Saint-Pourçain (Thermidor an XII).
(6)- Rapport du Citoyen Garnier (an II), Bulletin de la société émulation du Bourbonnais, 1898, p. 349.
(7)- Préfet Huguet, Tableau de situation du département de l’Allier (an IX), Bibliothèque nationale, version numérisée sur Gallica.fr. 68 pages.
(8)- Rapport du Citoyen Garnier, op. cité, p. 350..

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