lundi 6 mai 2013

Lorsque l'abandon transparaît au travers des archives.

Il a fallu attendre les années 50-60 pour qu'à la faveur du développement de la démographique historique, la question de l'enfance abandonnée devienne un champ d'étude à part entière. Identifié avant tout comme un phénomène urbain des XVIIIe-XIXe siècles, l'abandon d'enfants marqua également nos campagnes mais d'une façon moins prononcée et plus diffuse. En effet, alors que naissances illégitimes et distorsion des réseaux familiaux étaient intimement liés dans le processus d'abandon, il va de soit que dans le cadre du village, où la pression sociale était incomparablement plus forte que dans la ville peuplée de déracinés,  beaucoup de grossesses indésirées précipitaient l'alliance fortuite de deux parentèles parfois rivales. La plupart des historiens estiment aujourd'hui que près de trois millions d'enfants furent abandonnés en France au cours des XVIIIe et XIXe siècles (soit environ 2 à 3 % du total des naissances). La tranche chronologique 1750-1860 apparaît très nettement, au fil des études et des synthèses historiques, comme la période des hautes eaux en matière d'abandon d'enfants. En revanche, passé 1870, le phénomène ne cessa de reculer en corollaire du développement de l'industrialisation, des modes de garde solidaires des enfants en bas âge au sein des quartiers prolétaires, ainsi que l'apparition des salles d'asiles (garderies municipales du XIXe siècle).

Grâce au Mémoire de Maîtrise de Mlle Charlier, Démographie et subsistances à Lapalisse au XVIIIe siècle, soutenu devant l'Université de Clermont-Ferrand en 1965, l'évolution globale de la population de notre ville au dernier siècle de l'Ancien Régime nous est relativement bien connue. Mlle Charlier nota ainsi une hausse des enfants trouvés à La Palisse après 1750 : dix-huit baptêmes entre1750-1790 contre seulement deux recensés entre 1709 et 1750. Cette augmentation est à mettre en liaison avec une croissance très nette des naissances illégitimes dans la seconde moitié du siècle (11 sur la période 1709-1750, 34 entre 1750-1790). En revanche, l'histoire démographique de notre ville au XIXe siècle reste à écrire en puisant à pleines mains dans la masse d'archives au travers desquelles, de loin en loin, l'abandon surgit à l'image de celui de Léon Eustache en 1813 (Archives départementales de l'Allier - document aimablement transmis par M. Philippe Orrechia, fidèle lecteur de Palicia). Tout au long de ces deux siècles, l'hôpital de La Palisse, mettant d'ailleurs nous allons le voir à la disposition des parturientes, un "berceau public" fut la seule institution à prendre en charge les enfants abandonnés des bords de Besbre.




"L’an mil huit cent treize, le vingt et un du mois de septembre, à deux heures après midi, par devant nous Gilbert Guyot, maire et officier public de l’Etat-Civil de la commune de Lapalisse, est comparu Anne Têche, âgée de treize ans, orpheline, demeurant à l’hospice de cette ville, laquelle nous a déclaré qu’hier, sur les onze heures du soir, il a été trouvé dans le berceau dudit hospice, l’enfant qu’elle nous présente, dont  le trousseau est composé de trois chemises, deux brassières dont l’une à fleurs rouge, et la seconde en cotonne à petits carreaux, bleus et blancs, un bonnet, de plusieurs pièces de taffetas et indienne de différentes couleurs, bordé d’une dentelle blanche, un mouchoir en coton à grandes et petites fleurs rouges et blanches.
Après avoir dévêtu cet enfant, avons reconnu qu’il était de sexe masculin, de l’âge apparent de deux jours, sans marque qui puisse le faire reconnaître, de suite l’avons inscrit sur les prénom et nom de Eustache Léon, et avons ordonné qu’il fut reporté audit hospice chargé de le faire élever.
De quoi avons dressé procès-verbal en présence de Gilbert Tarbardin, âgé de trente cinq ans, artiste vétérinaire, et de Jean Arloing, âgé de trente ans, maréchal-ferrant, demeurant tous les deux dans cette ville, lesquels ont signé avec nous après que lecture leur a été faite du contenu du procès verbal." 

Au travers de la description du trousseau de l'enfant,  permettant à la fois un transfert d'affectivité et la recherche d'un pardon quasi expiatoire, nous comprenons que son abandon a été un acte réfléchi que seul Dieu put juger. 

S. HUG




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