samedi 25 décembre 2010

Les deux Pères Noël de Saint-Prix (extrait d'une nouvelle inédite de Georges Romaillat)

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Grâce à l'aimable concours de Claire Rodriguez, petite-fille de Georges Romaillat, voici un extrait d'une nouvelle inédite intitulée "Le Père Noël" dans laquelle l'écrivain lapalissois nous livre quelques souvenirs de ses Noëls d'enfance.
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A l’époque de Noël, les écoliers du bourg, de l’école libre ou de l’école laïque, se posaient invariablement les mêmes questions. Les grands pensaient que le Père Noël n’existait pas et que c’était une invention des parents. Cependant, ils n’étaient pas absolument certains : on ne sait jamais ! Aussi mettaient-ils leurs sabots devant l’âtre, et plutôt deux paires qu’une seule. Les plus jeunes, les fesses serrées, se tenaient sages pendant la semaine précédent l’évènement. Pour éliminer certains doutes, ils auraient bien voulu voir le Vieux Barbu, mais il passait toujours à minuit, à l’heure du grand sommeil.
Tous les gens du bourg possédaient une cheminée digne de ce nom, plus ou moins vaste suivant les maisons et permettant au VIEIL HOMME de parvenir jusqu’à l’intérieur des foyers. Chez nous, à mon avis, il y avait problème. Non seulement les boisseaux étaient étroits, environ trente centimes de côté, mais sur le toit même, l’ensemble se terminait par une sorte de faîtière en terre cuite arrondie en forme de goulot, laissant un passage réduit.
Je voyais mal le Père Noël s’introduire chez nous par ce chemin. Un contorsionniste du cirque AMAR n’y serait sans doute pas parvenu. Alors, que dire de que ce pauvre vieux, engoncé dans sa pelisse et chargé comme un mulet, de surcroît !
Je décidai d’en parler à mon père. J’avoue qu’il fut surpris… Surpris au point de s’en entretenir avec ma mère, et c’est elle qui trouva une solution susceptible de mettre fin à mes inquiétudes.
Au lieu d’emprunter le conduit de cheminée, comme chez les autres, il viendrait tout bonnement par le grenier, puisque tous les fenestrons étaient hors d’usage.
Cartésien jusqu’au bout, je fis remarquer que l’escalier était à la limite de l’effondrement avec sa marche à bascule, la dixième, pas de lumière par-dessus le marché. Il avait toutes les chances de se casser la figure en faisant un boucan de tous les diables. Après un tel accident, on aurait bonne mine, vis-à-vis des voisins…
Encore une fois, ils réfléchirent.
La solution était simple. Aussi simple que celle de l’œuf de Christophe Colomb, mais encore fallait-il y penser. Cette nuit-là, on ne fermerait pas la porte d’entrée à clé. Il lui suffirait de tourner la poignée pour entrer chez nous. Mes sabots étaient là à deux mètres, devant la cuisinière.
Il est bon de préciser qu’en plus du personnage mythique du Père Noël circulant sur les toits avec sa hotte au dos cette nuit-là, sur le coup de minuit, il en existait un autre… Bien réel celui-ci, vêtu comme l’Envoyé du ciel d’une immense houppelande rouge à parements blancs. La tête enfouie dans un capuchon, barbe de neige frémissant au vent et porteur d’une hotte lui aussi.
Il est au service de Madame RATARD, une riche veuve de diplomate, d’origine américaine, dont la générosité est connue de tout le monde. Sans prononcer un seul mot, consigne oblige, il frappe à chaque porte et remet à chacun le cadeau qui lui est destiné. Sûr qu’on le reconnaît, c’est FRANCIS, le chauffeur de la Dame. Il a un tic bien à lui. Toutes les deux minutes, il se racle la gorge bruyamment, impossible de se tromper. On le suit pas à pas. Il demeure imperturbablement muet. Sa tournée achevée, il va rendre compte de sa mission. Dix minutes plus tard, habillé comme tout le monde, il va taper la belote au bistrot, comme si de rien n’était.
Pour les filles, des nécessaires de couture suivant l’âge. Pour les garçons, des trousses d’écolier ou des crayons de couleur. A tous, une médaille pieuse représentant Notre-Dame de Beaulieu.
Deux ans plus tard, je crois me souvenir, mon père s’arma de courage pour éclairer enfin ma lanterne. Sur ce plan, je manquais vraiment de précocité. Il usa de mots simples, trop simples peut-être. En tout cas, brutalement dépourvus de la poésie de l’enfance.
Un homme avait parlé à son petit garçon comme à un homme, c’était la première fois. Brutalement, mes illusions tombèrent et mon cartésianisme vola en éclats. En un instant, j’avais changé de monde. Dois-je l’avouer : je l’aimais bien le Père Noël !

Georges Romaillat – janvier 2001
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