samedi 10 novembre 2012

Le plus vieux métier du Monde



La prostitution en milieu rural et dans la France des petites villes, en plus d’être un sujet encore tabou, est un thème extrêmement difficile à traiter pour les historiens, car elle n’a laissé que très peu de traces dans les archives. A l’époque où Lapalisse était encore une grande ville de foires et de marchés (XIXe-début du XXe siècle), la présence de prostituées indépendantes est attestée par quelques mentions dans les rapports de Police conservés dans la Série M des Archives Départementales de l’Allier. A partir des années 1970, l’augmentation du trafic routier sur la Nationale 7 développa le commerce des travailleuses indépendantes le long de cet axe. Se limitant à quelques unités, la présence de prostituées à Lapalisse dans les années 70-80 est également attestée (tout comme de nos jours) par les archives policières et judiciaires. A cette époque, la Place Bécaud (la Petite Gare des Lapalissois) était un parking très fréquenté par les chauffeurs routiers et épisodiquement par les filles de la nuit. Pour la plupart des Lapalissois, la prostitution devint une réalité le jour où le « réseau Pascaline » fut démantelé au cœur des années 80. S’étendant à l’échelle du département, ce réseau possédait une « antenne » lapalissoise.
Voici un témoignage extrêmement rare sur la présence de la prostitution à Lapalisse. Il s’agit d’un extrait du recueil de souvenirs Saint-Prix, Pays berbouille de Georges Romaillat. L’auteur dépeint un personnage haut en couleur qui faisait le commerce de ses charmes dans les années 30 : 

"Entre Saint-Prix et Lapalisse, sur les deux kilomètres du parcours, côté droit, on trouve trois carrières à ciel ouvert, dont l’une, au centre est abandonnée. Dans un recoin, derrière un vieux bâti de concasseur, il y a une roulotte de bohémien, stationnée là, définitivement l’occupant des lieux ne quitte plus les parages. Les brancards restent dressés vers le ciel, un bout de tuyau coiffé d’une girouette perce le toit. Un escalier de bois permet d’atteindre la double porte arrière, vernie avec deux barres obliques en laiton, pour pousser. La peinture, qui fut bleue, est maintenant délavée, les roues s’enfoncent dans l’herbe. Aux fenêtres, des rideaux ramenés en bas sur un côté. Sur une corde extérieure, sèche du linge intime. C’est l’antre d’une certaine Marie, que d’aucuns appellent la « Belle-en-cuisses ». Une personne du sexe, comme on dit, qui en fait n’habite ni à Saint-Prix, où on ne la voit jamais, ni à Lapalisse, où elle se rend de temps à autre, faire quelques courses, histoire de prendre l’air à son renard mité, qu’elle trimbale en sautoir autour de son cou. Elle a atterri là dans des circonstances curieuses. Bien plus jeune, elle aurait exercé un très vieux métier dans la capitale, à moins que ce ne soit à Hambourg, à Brest ou à Alger. On dit aussi qu’elle n’avait jamais été plus loin que Montluçon. On dit aussi qu’elle avait été recueillie un  jour, à la suite d’on ne sait quelle détresse, par un vieux bonhomme, propriétaire de la roulotte et d’un manège de chevaux de bois. Puis ce bienfaiteur incapable d’aller plus loin, s’était arrêté dans la carrière et était mort, peu après, dans la guimbarde. La Marie était demeurée sur place, vendant cheval et manège pour subsister. Avec le temps, certaines choses n’étant pas faites pour effrayer, elle avait repris sa coupable industrie, se constituant un réseau d’abonnés, reçus exclusivement sur rendez-vous.
Il arrive qu’en passant en ces lieux, on aperçoive un vélo mal dissimulé dans un fossé, voire une voiture et son cheval, dont le propriétaire est momentanément ailleurs. Parfois, la Belle-en-Cuisses apparaît derrière ses rideaux. Elle a un visage boursoufflé de blonde sur le déclin, le cheveu rare et négligé, les lèvres trop rouges, et il lui manque des dents. Quand elle parle, elle a la voix éraillée, grasseyante, comme à Paris. Un mégot éteint au coin de sa bouche, elle n’hésite pas à interpeller, en les tutoyant d’emblée, des passants toujours interloqués, qu’elle ne connaît même pas.
De temps à autre, on peut la voir surgir sur le seuil de sa roulotte, en chemise douteuse, débraillée, jetant à la volée, droit devant, dans un grand geste d’amour propre, le contenu d’une cuvette en émail bleu".

S. HUG
HUGSTEPHANE@aol.com  

samedi 3 novembre 2012

L'Abbé Gonnet : le parfait prélat (Arfeuilles)



L’Abbé Gonnet appartient à cette génération de prêtres, celle du Curé d’Ars, qui, passée la tourmente révolutionnaire, déploya, durant les décennies 1820-1850, un zèle extraordinaire dans le but de reconstruire l’Eglise catholique romaine.
Antoine Gonnet naquit en 1765 au hameau de Chènereille (paroisse de Saillant dans la région d’Ambert). Fils d’un marchand rural, il fit ses études chez les Oratoriens de Clermont et fut ordonné prêtre en 1790. Refusant de prêter serment à la Constitution Civile du Clergé, l’Abbé Gonnet demeura en place et célébra clandestinement ses offices religieux dans quelques granges de la Vallée de l’Ance. Le 13 novembre 1794, notre prélat fut arrêté dans une maison de Saint-Anthème. Le lendemain matin, alors qu’il était transféré à Ambert, l’escorte fut attaquée par une troupe de fidèles et l’Abbé Gonnet libéré. Regagnant le cœur de ses montagnes d’Auvergne, l’Abbé Gonnet retourna dans la clandestinité et poursuivit sa mission pastorale jusqu’à la signature du Concordat en 1801.
En 1803, une partie de la bourgeoisie d’Arfeuilles demanda à l’Evêque de Clermont (dont dépendait alors la paroisse) de remplacer le desservant de l’époque (l’Abbé Jean-Baptiste Laporte) qui était jureur (c’est-à-dire prêtre constitutionnel) et véhiculait l’image d’un homme proche des idées révolutionnaires. Monseigneur de Dampierre, évêque de Clermont, confia alors à l’Abbé Gonnet la charge de l’importante paroisse d’Arfeuilles, alors peuplée de plus de trois mille âmes.
Pour répondre au manque cruel de prêtres dans le tout récent diocèse de Moulins, érigé en 1823, l’Abbé Gonnet fonda en 1828 un Petit Séminaire dans les murs de la Maison des Martin du Gard qu’il avait acquise en 1818. Accueillant une bonne trentaine de séminaristes, cet établissement fonctionna jusqu’en 1847, année de la mort de l’Abbé Gonnet. 

S. HUG