Photos 1, 2, 3 : la foire de Lapalisse dans les années 1910, photo 4 : la gare de Lapalisse-Saint-Prix un après-midi de foire, le chargement du bétail en direction des marchés parisien et lyonnais, photo 5 : Jean-François Drouin (1933-1992), l'âme du Concours agricole de Lapalisse. J.F Drouin était exploitant agricole à Rozières sur la commune de Lapalisse, syndicaliste agricole, président du Comité des Foires de Lapalisse de 1972 à 1992, conseiller municipal de 1977 à 1983, candidat URB aux cantonales de 1982.
Au temps de leur splendeur, peu avant la première guerre mondiale, les foires mensuelles de Lapalisse regroupaient couramment, lors de chaque réunion, près de 2500 vaches, 1000 taureaux, 1500 cochons et 300 paires de boeufs. Le déclin commercial de ces foires débuta dès le début des années 1920. Néanmoins, les foires de Lapalisse demeuraient des faits sociaux très importants :
"Chaque mois, c'était la foire, un véritable évènement, car hormis les enfants et les impotents, presque tous les habitants s'y retrouvaient. Des veaux, des lots de porcs étaient entassés dans de petites voitures rectangulaires et amenés dès l'aube au champ de foire. Dans les fermes importantes, on partait à pied, avant le jour, poussant à coups de trique les boeufs, les vaches, les génisses qu'on espérait vendre ce jour là. Les bêtes étaient attachées à de grandes barres de fer sur le foirail. Les marchands de bestiaux vêtus d'une grande blouse bleue et coiffés d'un large chapeau tournaient autour des bêtes, les tâtaient, examinaient les yeux, soulevaient les queues. Les paysans attendaient, attentifs, souvent inquiets. Parfois, quand la demande était forte, le transactions allaient vite et les prix étaient rémunérateurs. Mais parfois, les marchands étaient rares, ils faisaient traîner les choses, offraient un prix dérisoire. On discutait, on se disputait même parfois. Mais les paysans avaient besoin d'argent, ils finissaient par céder. D'autres, s'entêtaient, refusaient, ils étaient obligés de ramener leurs bêtes, pleins de tristesse et de rancoeur. Avant de repartir, paysans et paysannes entraient dans les cafés, les femmes prenaient un café et mangeaient un morceau de brioche, les hommes buvaient des bouteilles de vin rouge dans un énorme brouhaha. Les marchands de bestiaux, les paysans aisés, les propriétaires terriens s'installaient aux tables des restaurants, à l'hôtel du Bourbonnais, à l'hôtel du Champ de foire et chez Madame Périchon, une grosse dame très affable, qui tenait son commerce au numéro 39 de la rue pasteur, un café-restaurant depuis longtemps disparu. Cependant, les marchands de bestiaux ne traînaient pas. Après le café et la goutte, ils s'empressaient de se rendre à la gare pour surveiller l'embarquement des bestiaux dans les wagons, des bêtes que leurs commis avaient poussées à coups de trique jusqu'aux quais. Il y avait là une grande agitation, des cris, des beuglements. On poussait les pauvres bêtes sur un plan incliné en les piquant au flanc ou au derrière. Il y avait alors à cette époque plusieurs bistrots en face de la gare qui recevaient une grosse clientèle. La foire était aussi l'occasion de profiter de spectacles. Aux carrefours, on trouvait des camelots qui avaient étalé leur marchandise à même le sol ou sur des couvertures. Des rassemblements se formaient, paysans et paysannes écoutaient bouche bée les boniments des camelots. Pour un prix qui paraissait dérisoire, on pouvait acheter un lot de vaisselle : plats, assiettes, tasses... ou un lot de literie : draps, couvertures, couettes... Rue du Marché, un homme prétendait que ses verres étaient incassables. De temps en temps, il en jetait un par terre pour montrer sa solidité. Le marchand de chansons avait étalé sa marchandise sur un tréteau. Un accordéoniste jouait, assis sur une chaise, pendant qu'une grosse dame à la robe multicolore chantait les dernières chansons à la mode. Des jeunes filles restaient là longtemps pour apprendre l'air, puis elles achetaient le papier pour les paroles. Elles pourraient ainsi montrer leur talent dans les réunions de famille et pour les noces. Je me souviens d'un avaleur de grenouilles qui absorbait plusieurs litres d'eau, puis avalait trois petites grenouilles vertes devant une foule ébahie. puis il se tordait l'oreille et il rejetait une gerbe d'eau où se trouvait une grenouille et ainsi pour les autres bestioles. Après quoi, il faisait la quête, beaucoup lui donnait une pièce, quelques-uns qui avaient pourtant profité du spectacle se retiraient à la hâte.
La foire du 28 (le 28 décembre) était particulière. Certes c'était une foire comme les autres, mais elle précédait le 1er janvier. Avant la deuxième guerre mondiale, Noël était seulement une grande fête religieuse. On déversait sur des couvertures des tombereaux d'oranges. C'était le jour de l'année où l'on pouvait acheter de beaux fruits dont le parfum se répandait dans la rue. Mais, au faubourg, c'était une autre fête. Dans l'après-midi, on dansait sur une place, devant l'hôtel Galland, sur un parquet immense où l'on s'entassait. " (in, Gaston Gay, Le bistrot de ma mère, pp. 52-53).
Le déclin des foires de Lapalisse s'accélèra après la seconde guerre mondiale. Gilbert Barthelot, maire de Lapalisse de 1953 à 1959, essaya d'inverser cette tendance en créant, en 1954, une foire primée aux veaux, puis, en 1958, une foire primée aux porcs. En 1972, le Docteur Grèze, alors maire de Lapalisse, épaulé par Jean-François Drouin (voir commentaire des photos) lancèrent l'idée d'un concours agricole doublée d'une foire-exposition. Après de belles années, ce concept commercial entra en crise au cours des années 1990. L'édition d'octobre 2001 (réunissant seulement 70 bovins et 200 ovins) constitua le point d'orgue de cette histoire des foires de Lapalisse.
S. HUG