jeudi 12 mai 2011

Les légendes napoléoniennes en Bourbonnais

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Le Bourbonnais est généralement présenté comme une « province rouge » où les idées progressistes se seraient installées très tôt et très profondément. Si cette lecture de notre sociologie politique repose sur des éléments mis en évidence il y a une quarantaine d’années par Jean-François Viple et Camille Gagnon (1), une nouvelle approche de ce caractère historique est néanmoins nécessaire. La résistance au Coup d’Etat bonapartiste du 2 décembre 1851 apparaît généralement comme l’acte fondateur de la gauche républicaine bourbonnaise et pourtant les masses rurales de notre province furent loin de se lever comme un seul homme à l’annonce du coup de force du Prince-Président. Trois semaines plus tard, les 20 et 21 décembre 1851, les résultats du plébiscite visant à promulguer une nouvelle constitution furent sans appel dans le département de l’Allier : 69 962 OUI, 1 326 NON. Certes, la pression du parti de l’Ordre (loin d’être entièrement bonapartiste) sur les votants fut bel et bien réelle, mais au-delà de pratiques électorales qui perdurèrent longtemps dans nos circonscriptions, il faut surtout s’interroger sur la réalité des sentiments bonapartistes dans notre province à cette époque.


Si durant les premières années de la Seconde Restauration notre province connut quelques timides tentatives de création de réseaux bonapartistes qui s’étaient fixés comme but d’entretenir l’héritage politique de l’Empereur (à défaut, après 1821, d’espérer son retour de Sainte-Hélène), leur champ d’action fut si limité qu’ils n’ont laissé que bien peu de traces dans les archives policières de l’époque (2). Au-delà de l’épuration politique menée par le camp de la réaction au lendemain des Cent Jours, quatre phénomènes peuvent expliquer cet état de fait :

1- la faiblesse numérique des anciennes élites napoléoniennes (3) dans notre département (17 anoblis contre une moyenne nationale de 27),
2- la modestie du tissu urbain bourbonnais,
3- l’absence de garnisons d’importance pouvant servir de bras armés,
4- le relatif isolement de notre province par rapport au centre de gravité politique du pays.


Comme dans beaucoup de provinces, passé le temps des demi-soldes, le bonapartisme finit par se noyer dans le libéralisme. Deux grandes figures bourbonnaises de l’Empire, le général Camus de Richemont (1771-1853), député de Gannat entre 1827 et 1837 et le général de Courtais (1790-1877), député de Montluçon entre 1842 et 1849, réussirent ainsi à s’imposer sur l’échiquier politique bourbonnais en incarnant, sous la Monarchie de Juillet, l’opposition libérale au chartisme. (4)

Cependant, toute la noblesse d’Empire était loin de partager la fougue de Richemont. La famille Lefèvre, propriétaire du château de la Ronde à Yzeure, s’illustra dans la société moulinoise du XIXe siècle tout en cherchant à s’affranchir de la mémoire de l’Empereur (5)

A défaut de réseaux organisés, le bonapartisme se nicha souvent au cœur des loges maçonniques de notre département. Ainsi, le docteur Adrien-Joseph Derecq (1878-1861), ancien chirurgien de la Grande Armée, médecin-chef de l’hôpital de Moulins et fondateur de la loge Paix et Union en 1835 fut surnommé sous la Restauration le « médecin des Pauvres » tant son action dans la lutte contre le paupérisme marqua les Moulinois. Un autre médecin, Jean-Baptiste Michel (1787-1863), lui aussi ancien chirurgien de la Grande Armée, grand propriétaire terrien, maire d’Isserpent entre 1830 et 1848 et de nouveau à partir de 1852 jusqu’à sa mort, fut quant à lui initié dans la loge de l’Espérance. Sensibilisé au problèmes des nationalités, il offrit même un temps un lieu d’asile sur le sol de sa commune au Baron Napoléon-Ignace Gostowski (1807-1881), un jeune réfugié polonais chassé de son pays après l’échec d’une révolte nationale face aux Russes en 1831-1832. (6)

De toute évidence, la flamme du bonapartisme (tout comme celle de l’anti-bonapartisme d’ailleurs) fut tout d’abord entretenue à l’intérieur de la cellule familiale. A l’image d’Achille Allier dont l’enfance fut bercée par les récits des campagnes militaires de son père sous le Directoire, au moins deux générations de Bourbonnais burent les paroles des acteurs directs de l’épopée napoléonienne. Dans la Vie d’un simple, Tiennon se souvient encore du sempiternel récit de la campagne de Russie délivré, à la fin des banquets et des repas de noces, par l’oncle Tiennot. Mais comment définir le bonapartisme des années 1815-1848 ? Une nostalgie bravache portée par un orgueil contrarié, l’esprit de la Révolution accroché aux oripeaux des vétérans de la Grande Armée. Le bonapartisme ressemblait en fait à un millefeuille qu’il suffisait de renverser pour voir apparaître une face insoupçonnée. Le général de Courtais, défenseur de toutes les libertés, fut ainsi activement recherché au lendemain du Coup d’Etat bonapartiste du 2 décembre 1851… A La Palisse, alors que Jean-Jacques Amaury, ancien soldat de l’Empire et régisseur des propriétés des de Chabannes resta fidèle jusqu’à la fin de sa vie à l’épopée impériale, son fils, Jean Lazare, clerc de notaire puis commis aux écritures de la société PLM, retint surtout des récits paternels l’esprit des soldats de l’an II ce qui contribua à faire de lui l’un des républicains les plus intransigeants des bords de Besbre. (7)

L’attachement au mythe napoléonien pouvait parfois prendre des formes quasi religieuses.Toujours à La Palisse, en septembre 1852, lors du passage du Prince-Président, au détours d’une courbe de la route de Paris à Lyon, un ancien de l’Empire avait dressé à la hâte un véritable autel portatif dédié à la gloire de l’Empereur. A Saint-Etienne-de-Vicq, durant le Second Empire, l’attachement à la gloire impériale atteignit des sommets. François Péturet, vétéran de la Grande Armée, maire de la commune entre 1839 et 1869 et fervent bonapartiste conduisit à maintes reprises l’ensemble de ses administrés vers le soleil d’Austerlitz. Aux élections de décembre 1848, maire en tête, toute la population masculine arborant une cocarde bonapartiste se déplaça pour voter jusqu’au bureau de La Palisse. On prit même l’habitude de donner le prénom de Napoléon à la plupart des garçons et celui d’Eugénie à une majorité de filles… Mais le sentiment bonapartiste qui régnait dans cette commune culmina en 1855 lors que François Péturet fit d’un terrain appelé « la Montagne du parc » sur lequel il encouragea la population à édifier une butte de terre en l’honneur de la prise du Fort de Malakoff lors de la guerre de Crimée.
Dans chaque village du Bourbonnais, les anciens de la Grande Armée continuaient à faire planer l’ombre de l’Empereur sur le foirail, à l’auberge, à la boutique, à l’étude ou à la sortie de la messe.



Un vétéran de l’Empire devenu garde-champêtre (gravure du XIXe siècle)





François Baron (1782-1870) fut de ceux-ci. Chasseur au 2eme régiment de Dragons, maréchal-des-logis-chef en 1808, François Baron participa aux campagnes d’Autriche, de Prusse, de Pologne et d’Espagne où il fut fait prisonnier. Après six années de captivité, il rentra en France et intégra en 1815 la Gendarmerie de l’Allier, puis celle de la Nièvre. François Baron quitta la Gendarmerie en 1834 et devint commissaire de Police à Gannat jusqu’en 1850. A cette date, notre vétéran se retira à Dompierre-sur-Besbre où il fut nommé receveur buraliste et débitant des poudres et salpêtre. Grande figure dompierroise du Second Empire, François Baron s’éteignit en septembre 1870 suite à une « émotion » provoquée par la défaite de Sedan.





Deux vétérans de l’Empire (L’Hebdomadaire de Cusset – 16 février 1851)


Mais l’une des figures les plus pittoresques de l’époque est sans nul doute celle de Louis Suchal (1773-1851). Ouvrier cordonnier saint-pourçinois, Suchal se fit soldat et participa semble-t-il à la campagne de Russie durant laquelle, à ses dires, la faim fut si cruelle, qu’il apprit à tout avaler. De retour en France, il se fixa à Moulins où il exerça une foule de petits métiers mais il gagna une grande notoriété en devenant un véritable phénomène de foire. Assisté du brave Montarbeau, un simple d’esprit qu’il barbouillait allègrement de cirage pour le faire passer pour un nègre, notre homme se faisait fort d’engloutir tout ce qu’on lui présentait. Les exploits de Suchal devinrent vite proverbiaux à tel point que l’on affublait encore à Moulins au milieu du siècle dernier du surnom de « Suchalle » tous ceux qui étaient dotés d’un solide appétit. Avec le personnage de Suchal nous entrons dans la légende noire napoléonienne, celle de la retraite de Russie vécue ou réinventée au travers d’un bonniment débridé, celle des veuves éplorées, des orphelins et des estropiés. Comme partout en France, après avoir dressé le menton, l’évocation de la gloire de l’Empire finissait à cette époque dans un soupir.



(article paru dans Les Cahiers Bourbonnais n° 209, automne 2009)

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(1)- Jean-François Viple, Sociologie politique de l’Allier, la vie politique et les élections sous la Troisième République, Paris, 1967. Camille Gagnon, En Bourbonnais sous la Seconde République, Editions des Cahiers Bourbonnais, Moulins, 1971.
(2)- Au tout début de la Restauration, à Moulins, les anciens soldats restés fidèles à l’Empereur se donnaient rendez-vous au domicile d’un nommé Saint-Aubin, à Montluçon, la librairie Poulton continua à animer la flamme bonapartiste avant d’être fermée en 1824.
(3)- A consulter : Nathalie Petiteau, Elites et notabilités : la noblesse d’Empire au XIXe siècle (1808-1914), Editions de la Boutique de l’Histoire, Paris, 1997.
(4)- A lire, Georges Rigondet, Louis-Auguste Camus de Richemont, général et baron d’Empire. Un destin extraordinaire de louis XVI à Napoléon III, Editions des Cahiers bourbonnais, 1998.
(5)- Trois générations de Lefebvre se sont illustrées en Bourbonnais : Laurent-Etienne-Henri Lefebvre (1770-1845), receveur des Finances, Laurent-Léon Lefebvre (1797-1877), également receveur des Finances et enfin, Louis-Laurent-Maxence Lefebvre (1825-1912), conseiller municipal d’Yzeure et vice-président de la Société d’Emulation du Bourbonnais.
(6)- Napoléon-Ignace Gostowski se fit construire à Isserpent une demeure bourgeoise connue sous le nom de « La Réserve » ou « La vieille Poste ». (7)- Jean Lazare Amaury fut d’ailleurs transporté en Algérie en mars 1852 et revint en France dès janvier 1853



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S. HUG



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