Pendant plusieurs mois, Claude Lafayette va nourrir l'espoir d'être démobilisé en faisant valoir à la fois sa situation familiale et son statut de petit patron. Pour ce faire, il semble avoir utilisé deux intermédiaires privilégiés : Auguste Coche, adjoint au maire de Lapalisse, Président de la Société de Secours Mutuels et son voisin, le commerçant Delorme, conseiller municipal. "J'attends encore pour répondre à Coche que tu me dises si la demande que tu attends va réussir, mais je n'y compte guère, cependant ce serait le rêve pour moi si je pouvais revenir travailler à mon atelier enfin des deux il y en aura peut être une qui réussira. A quand je serai parti de cette misère." (Lettre du 27 mai 1916 à Brienne). Cependant, aucune des démarches engagées n'aboutit.
Durant les six premiers mois de son service, Claude Lafayette bénéficia de permissions relativement fréquentes. De Roanne ou de Moulins, en une heure de train, notre homme était de retour sur les bords de Besbre, s'offrant à chaque occasion une vraie "coupure" avec la vie de caserne : "Tache d'avoir des cerises pour samedi soir, nous pourrions peut être prendre la friture et dimanche, si l'eau n'est pas trop rande, nous irons à la Figourdine essayer de prendre une truite." (Lettre du 30 juin 1915 de Roanne) Cependant, en Argonne, dans la Marne et en Chamapgne, les permissions devinrent de plus en plus rares et de moins en moins faciles à annoncer à la maisonnée : "Je compte être à Lapalisse dimanche prochain 14 mai, ou lundi. Inutile de venir m'attendre à la gare. Je ne peux t'affirmer à l'avance si je partirais car au dernier moment il peut bien avoir un contre-ordre. Inutile que tu te creuses la tête à ce sujet. Si j'arrive, tu me prendras, si je n'y suis pas, ce sera pour 12 jours plus tard si les permissions ne sont supprimées." (Lettre du 8 mai 1916 de Bussy-aux-Bois)
Un retour en bonne santé, voilà ce qui importait aux yeux de Claude Lafayette. Notre Lapalissois essaya ainsi tant bien que mal de soigner au mieux les maux de ventre chroniques qui le taraudait depuis quelques années déjà. Arrivé à Gyé-sur-Seine, il écrit à sa femme : "J'avais besoin de changer de nourriture, aussi manger soupe et boeuf et boeuf et soupe matin et soir ce n'était pas drôle car j'avais attraper un commencement d'enthérite, la dyssentrie et des douleurs dans le ventre continuellement. Je l'ai perdu on ventre et j'ai bien diminué de 10 kilos." (Lettre du 8 mars 1916) Il n'est pas rare qu'Emma Lafayette glissait dans les nombreux colis qu'elle envoyait à son mari des médicaments achetés à la Pharmacie Desfourniaux, située à quelques pas du magasin familial. Mis à part une sévère grippe contractée dès le premier mois de son incorporation, Claude Lafayette traversa globalement plutôt bien ses 22 mois de service territorial. Admis un mois entier à l'infirmerie de la Caserne Werlé de Roanne, Claude Lafayette demanda à sa femme d'user de discrétion quant à son état de santé car il estimait que l'on ne manquerait pas de jaser sur son intention de se faire réformer : "Inutile de raconter tout cela aux voisins., les gens sont tellement jaloux qu'ils pourraient te lancer quelques bonniments non seulement à mon égard, mais aussi à celui de Béguet qui est très gentil pour moi." (Béguet = banquier lapalissois installé sur l'Ile Saint-Jean)
De évidence ce fut durant la période où il fit partie des brigades de bûcherons que les conditions de cantonnement de Claude Lafayette furent les plus rudes : "Pour le moment il ne fait pas froid. Nous ne sommes pas trop malheureux. Il n'y a que les rats qui nous dévorent. Ils nichent dans nos musettes et nos sacs, ils raffutent partout dans nos gamelles et notre pain est tout entamé par ces bestiaux, ainsi que le chocolat." (Lettre du 28 janvier 1916)
Claude Lafayette accordait une grande importance à son alimentation. Il faut dire que les économies de la famille lui permettait, contrairement à d'autres territoriaux, d'étoffer ses repas et s'accorder quelques plaisirs : "Je me suis installé dans le poste de la vigie pour manger, j'ai déjeuné avec une boîte de sardines, 1 livre de pain, un chausson aux pommes avec 1/2 litre de vin. Hier soir, j'ai soupé pas trop mal pour 2 f 30 : une soupe sans pain, 2 sardines, du beurre gros comme une noisette (sardines pas fraîches, beurre rance), un tout petit bifteack avec une bonne assiette d'haricots (assez bons), un petit morceau de fromage et deux biscuits, 1 café san gnôle bien entendu. Avec une petite bouteille de vin, pas même le 1/2 litre. Tu vois que c'est cher ! et j'ai payé 1 f de chambre." (Lettre du 3 mai 1916 à Chalons-sur-Marne).
L'ordinaire est complété par le contenu des colis envoyés par Emma Lafayette : gâteau de Savoie, saucisson, chocolat, pain d'épices, tabac...
Les jours de fêtes, la ration habituelle est largement complétée par tout ce que les Territoriaux peuvent mettre au "pot commun" :
"Pour la veillée de la messe de Minuit, je ne t'ai pas écrit, voici pourquoi. Je suis allé trouver Marchand et nous avons fait une manille jusqu'à 9 heures et 1/2 le soir et comme Réveillon nous avons bu 1 litre de vin et 2 litres de cidre accompagnés d'une tartine de beurre de Lapalisse que Marchand avait pris. Je suis revenu dna smon gourbis où tous les copains chantaient et cela a duré jusqu'à Minuit. Puis l'on s'est couché aprs avoir passé une bonne soirée. Aujourd'hui Noël. Nous avons fait concert dans une grange. Il a plu toute la journée. A déjeuner, l'on nous a donné du lapin et un biscuit le tout était excellent. Le soir nous avons refait une manille, chanté et bu, en ce moment nous cassons la croûte, un morceau de pain et de chocolat." (Lettre du 25 décembre 1915)
(à suivre)
S. HUG
HUGSTEPHANE@aol.com
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S. HUG
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